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Les fils de la liberté

Les fils de la liberté

Titel: Les fils de la liberté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Diana Gabaldon
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mauvaises nouvelles.
    — Je m’en doute mais, je vous en prie, asseyez-vous, vous allez tomber.
    Il secoua la tête comme un cheval chassant les mouches. Il avait une mine épouvantable, le teint livide et le pourtour des yeux rouges. Mais, si ce n’était pas Henry…
    Je plaquai une main sur mon cœur.
    — Oh, mon Dieu, soufflai-je. Dottie. Que lui est-il arrivé ?
    — L’ Euterpe , lâcha-t-il.
    Je me figeai.
    — Quoi ? murmurai-je. Quoi  ?
    — Perdu. Disparu corps et biens.
    — Non, rétorquai-je. Non, ce n’est pas vrai.
    Il me regarda enfin droit dans les yeux et me saisit par le bras.
    — Ecoutez-moi !
    La pression de ses doigts me terrifia. Je tentai de me libérer mais n’y parvins pas.
    — Ecoutez-moi, répéta-t-il. Je l’ai entendu ce matin dans un estaminet. Un capitaine racontait la tragédie. Il l’a vue de ses propres yeux.
    Sa voix dérailla et il dut s’interrompre un instant avant de reprendre :
    — Il y a eu une tempête. Il pourchassait l’autre vaisseau dans l’intention de l’aborder. Ils ont été tous les deux surpris par l’ouragan. Son propre navire a tenu bon et a pu rentrer au port, sérieusement endommagé. Mais il a vu une vague géante chavirer l’ Euterpe . Il a sombré sous ses yeux. Le Roberts – c’est le nom de son navire – est resté dans les parages dans l’espoir de repêcher des survivants.
    Il déglutit.
    — … Il n’y en a eu aucun.
    — Aucun, répétai-je.
    Je l’avais entendu mais le sens de ses mots m’échappait.
    — Il est mort, dit doucement lord John. Il n’est plus.
    Il lâcha enfin mon bras.
    Une odeur de porridge brûlé nous parvint de la cuisine.
     
    John Grey s’arrêta de marcher parce qu’il était arrivé au bout de la rue. Il avait commencé à arpenter State Street de long en large un peu avant l’aube. Le soleil était à présent haut dans le ciel. La sueur encroûtée de poussière lui irritait la nuque, la boue et le crottin éclaboussaient ses bas et, à chaque pas, les clous de ses semelles semblaient s’enfoncer un peu plus dans la plante de ses pieds. Il s’en moquait.
    Le Delaware s’écoulait devant lui, boueux et nauséabond. Des gens le bousculaient, se pressant vers les docks afin de ne pas rater le bac qui se dirigeait lentement vers eux depuis l’autre rive. Le bruit des vaguelettes qui clapotaient contre l’embarcadère énerva encore un peu plus ceux qui attendaient. Ils commencèrent à se marcher sur les pieds et à jouerdes coudes. Un des soldats sur le quai prit son mousquet et s’en servit pour repousser une femme.
    Elle chancela avec un cri perçant et son mari, bombant le torse, bondit en avant, poings serrés. Le soldat aboya quelque chose, montra les dents puis lui fit signe de reculer du bout de son mousquet. Attiré par le bruit, son camarade se retourna. Il n’en fallut pas davantage pour créer un mouvement de panique, une masse compacte de gens poussant des cris et se mettant à courir en cherchant à fuir la violence tandis que des hommes avançaient à contre-courant pour en découdre. Quelqu’un tomba à l’eau.
    Grey observait la scène quand deux gamins surgirent de la mêlée l’air terrifiés et remontèrent la rue en courant. Quelque part dans la foule, il entendit une femme affolée crier :
    — Ethan ! Johnny ! Jooooohnyyyyyy !
    Une voix au fond de lui lui dit qu’il devait intervenir, hausser le ton, exercer son autorité et calmer ces gens. Il tourna les talons et s’éloigna.
    Il n’était pas en uniforme, se répéta-t-il. Ils ne l’auraient pas écouté, auraient été encore plus désorientés. Il aurait fait plus de mal que de bien. Mais il n’avait pas pour habitude de se mentir et cessa aussitôt de chercher à se convaincre.
    Il avait déjà perdu des êtres chers. Certains qu’il avait aimés plus que la vie elle-même. A présent, il s’était perdu lui-même.
    Il reprit lentement le chemin de sa maison dans un état d’hébétement. Il n’avait pas dormi depuis qu’il avait appris la nouvelle. Il avait somnolé par intermittence, affalé dans un fauteuil sur la véranda de Mme Woodcock, se réveillant déboussolé, couvert de la sève poisseuse des sycomores du jardin et de ces minuscules chenilles vertes qui se balançaient sous les feuilles au bout de fils de soie invisibles.
    — Lord John !
    Il prit conscience d’une voix insistante et se rendit compte qu’on l’appelait depuis un certain temps déjà. Il s’arrêta et,

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