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Les fils de la liberté

Les fils de la liberté

Titel: Les fils de la liberté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Diana Gabaldon
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était déjà plus singulier.
    — Il clouait les oreilles au linteau de la bergerie, me raconta-t-elle d’une voix égale. Très haut pour que mes chèvres ne puissent les attraper. Elles se ratatinaient au soleil, vous savez, comme des champignons séchés.
    — Ah.
    Je me retins de lui dire qu’il aurait suffi de les fumer pour éviter ce problème. J’ignorais si Ian portait toujours l’oreille d’un avocat dans son sporran mais j’étais convaincue qu’il n’aurait guère apprécié la fascination morbide que ce trophée aurait éveillée chez Mme Raven. Dès qu’elle apparaissait, Jamie et lui s’éclipsaient comme si elle avait la lèpre.
    — On dit que les Indiens découpent leurs prisonniers en morceaux, petit à petit, me confia-t-elle comme si elle partageait un secret. D’abord les doigts, une phalange après l’autre…
    — C’est révoltant. Vous voulez bien aller au dispensaire me chercher un sac de tissu ouaté ?
    Elle partit docilement, comme toujours, mais il me sembla l’entendre continuer à marmonner. Au fil des jours, à mesure que la tension montait dans le fort, je devins convaincue qu’elle parlait toute seule.
    Ses digressions se firent plus longues… et plus délirantes. Elle passait désormais du passé lointain de son enfance idéalisée dans le Maryland à un futur tout aussi lointain, où nous avions tous été massacrés par les Britanniques ou capturés par les Indiens, avec des conséquences allant du viol au démembrement, ces deux procédures étant réalisées simultanément. Je tentai de lui expliquer que la plupart des hommes n’avaient ni la concentration nécessaire ni une coordination motrice suffisante pour accomplir une telle prouesse. Elle était encore capable de se concentrer sur ce qu’il y avait sous son nez mais pas longtemps.
    — Tu ne pourrais pas en parler à son mari ? demandai-je à Jamie.
    Il venait juste de rentrer et de me raconter qu’il l’avait vue tourner autour de la grande citerne près du terrain de manœuvres en comptant inlassablement dans sa barbe.
    — Tu crois qu’il n’a pas remarqué que sa femme est en train de devenir folle ? Si c’est le cas, je doute qu’il apprécie qu’on le lui dise. Et s’il s’en est rendu compte, que veux-tu qu’il fasse ?
    Effectivement, on ne pouvait pas faire grand-chose, mis à part la surveiller et essayer d’apaiser ses fantasmes les plusépouvantables… ou du moins éviter qu’elle n’en parle aux patients les plus impressionnables.
    Toutefois, à mesure que les jours s’écoulaient, les excentricités de Mme Raven ne paraissaient guère plus prononcées que les angoisses de la plupart des habitants du fort, notamment les femmes. Elles ne pouvaient rien faire d’autre que s’occuper des enfants, laver le linge (au bord du lac sous bonne garde ou en petits groupes autour des chaudrons fumants) et attendre.
    Les bois n’étaient plus sûrs. La découverte macabre des deux sentinelles égorgées et scalpées avait fortement impressionné Mme Raven et m’avait également ébranlée. Contempler les étendues infinies de verdure depuis les batteries ne me procurait plus de plaisir. La vigueur même de la forêt semblait une menace. Je voulais quand même du linge propre mais tous les poils de mon corps se hérissaient chaque fois que je sortais du fort.
    — Encore treize jours.
    Je passai un pouce le long du chambranle de la porte de notre sanctuaire. Chaque nuit avant de se coucher, Jamie y taillait une encoche correspondant à un jour de sa période d’enrôlement.
    — Tu faisais aussi ça en prison ?
    Il réfléchit.
    — Pas à Fort William ni à la Bastille. A Ardsmuir, oui, même si nous n’avions pas de sentence et donc pas de jours à décompter. Il était important de se raccrocher à quelque chose, même si ce n’était qu’aux jours de la semaine.
    Il vint se placer près de moi et contempla les encoches dans le bois avant de déclarer doucement :
    — Je serais bien tenté de filer d’ici si Ian était de retour.
    L’idée m’avait maintes fois traversé l’esprit et je savais qu’il y pensait de son côté. Il était de plus en plus évident que le fort ne pourrait repousser une attaque de l’ampleur annoncée. Les éclaireurs rentraient de plus en plus souvent rapporter l’avancée des troupes de Burgoyne et, bien qu’ils soient immédiatement entraînés dans le bureau du commandant et expédiés hors du fort tout aussi rapidement, une heure

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