Les fils de la liberté
rouges. Ses hommes ne pouvaient plus rester immobiles au risque d’être piétinés. Si les défenseurs avaient voulu ouvrir le feu, ils ne pouvaient rêver meilleure occasion. Pourtant, ils ne bronchaient toujours pas.
— Chargez ! hurla William en levant un bras.
Les hommes jaillirent d’entre les arbres dans une charge héroïque, baïonnettes pointées.
Les portes du fort étaient entrouvertes et les soldats se ruèrent à l’intérieur au mépris du danger… Cependant, il ne se passa rien. Quand William entra avec ses hommes, ils découvrirent l’endroit désert. Non seulement abandonné mais évacué dans la précipitation.
Les biens personnels des rebelles jonchaient le sol, comme s’ils les avaient laissés tomber dans leur fuite. Il n’y avait pas que des objets lourds tels que des ustensiles de cuisine, mais également des vêtements, des livres, des couvertures… jusqu’à de l’argent. Plus important encore, les fuyards ne s’étaient même pas donné la peine de faire sauter les munitions et la poudre qui ne pouvaient être emportées ; il devait y en avoir plus de cent kilos dans des fûts entassés. Ils avaient aussi eu la prévenance de leur laisser des provisions.
— Pourquoi n’ont-ils pas foutu le feu ?
Le lieutenant Hammond n’en revenait pas. Il contemplait bouche bée les casernes équipées de lits, de draps, de pots de chambre… Les conquérants n’avaient plus qu’à s’y installer.
— Allez savoir ! marmonna William.
Il bondit en avant en voyant un soldat sortir de l’une des chambres, un châle en dentelle autour du cou et les bras chargés de chaussures.
— Hé, vous ! Pas de pillage ! Vous m’avez entendu ?
Le voleur lâcha son butin et prit ses jambes à son cou, des pans de dentelle battant au vent derrière lui. Malheureusement, il n’était pas le seul à se servir et William comprit rapidement que Hammond et lui ne pourraient empêcher le saccage. Haussant la voix pour se faire entendre par-dessus le raffut croissant, il appela un enseigne et, saisissant l’écritoire du soldat, griffonna un message.
— Apportez ça au brigadier-général Fraser. Faites vite !
Aube, 7 juillet 1777
— Je ne tolérerai pas ces débordements scandaleux !
Les traits du brigadier-général Fraser étaient profondément creusés, tant par la colère que par la fatigue. La pendulette de voyage sous sa tente indiquait cinq heures du matin et William avait l’étrange sensation que sa propre tête flottait quelque part au-dessus de son épaule gauche.
— Pillages, vols, indiscipline… Je ne le tolérerai pas ! Me suis-je bien fait entendre ?
Le petit groupe d’officiers épuisés acquiesça dans un concert de grognements. Ils avaient passé la nuit à tenter de ramener leurs troupes à un semblant d’ordre, les empêchant de commettre les pires excès, à inspecter les avant-postes abandonnés des Vieilles Lignes Françaises, ainsi qu’à inventorier la manne providentielle de provisions de bouche et de munitions laissée pour eux par les défenseurs. Ils avaient trouvé quatre de ces derniers ivres morts près d’un canon chargé et braqué sur le pont en contrebas.
— Ces hommes, ceux que vous avez ramenés, vous les avez interrogés ?
— Non, mon général, répondit le capitaine Hayes en réprimant un bâillement. Ils sont toujours inconscients. D’après le médecin, ils ont tellement bu que c’est un miracle qu’ils soient encore en vie.
Hammond chuchota à William :
— Ils étaient morts de trouille après avoir attendu tout ce temps notre arrivée.
— Je dirais plutôt morts d’ennui, murmura William en retour.
Il croisa le regard noir du brigadier-général et se redressa aussitôt.
— Bah ! Ils n’auront rien à nous apprendre que nous ne sachions déjà, conclut Fraser.
Il agita une main pour dissiper un nuage de fumée qui s’était glissé sous la tente, puis toussota. William huma discrètement l’air. Il était chargé d’une odeur exquise qui lui titilla l’estomac. Jambon ? Saucisses ?
— J’ai envoyé une dépêche au général Burgoyne pour lui annoncer que nous avions pris Fort Ticonderoga. Ainsi qu’au colonel St. Léger. Nous laisserons ici une petite garnison pour dresser l’inventaire et remettre un peu d’ordre, mais pour le reste d’entre nous… Nous avons des rebelles à capturer, messieurs. Je ne peux vous offrir beaucoup de répit mais il vous reste assez de temps pour prendre un bon
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