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Les fils de la liberté

Les fils de la liberté

Titel: Les fils de la liberté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Diana Gabaldon
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s’attardaient dans les creux, plus lents à se dissiper que les lambeaux de brume et libérant une puanteur de poudre et de soufre appropriée dans un paysage qui, s’il ne ressemblait pas aux enfers, n’en était pas moins sanglant et sinistre.
    Ici et là, un espace se dégageait subitement, tel un rideau s’ouvrant sur les vestiges de la bataille. De petites silhouettes sombres se déplaçaient furtivement au loin, courant, s’arrêtant, s’accroupissant, redressant la tête. C’étaient les civiles – les épouses et les filles à soldats – venues tels des corbeaux dépouiller les morts.
    Il y avait aussi des enfants. Sous un buisson, un gamin de neuf ou dix ans était assis à califourchon sur le corps d’un soldat en uniforme rouge. Il souleva une lourde pierre et lui fracassa le visage. Je m’arrêtai, tétanisée. Je le vis fouiller dans la bouche béante et sanglante et en arracher une dent. Il glissa son butin dans le sac qu’il portait en bandoulière, fouilla encore, puis, ne trouvant aucune autre dent branlante, reprit sa pierre comme si de rien n’était et repartit en quête d’un autre cadavre.
    Je sentis la bile monter et hâtai le pas. La guerre, la mort et les blessures ne m’étaient pas étrangères mais je ne m’étais encore jamais trouvée si près des combats. Je n’avais jamais arpenté un champ de bataille où les morts et les blessés gisaient encore.
    Des appels à l’aide, des gémissements et des cris s’élevaient dans la brume, désincarnés. Je songeai avec un frisson aux histoires d’ urisge dans les Highlands, les esprits damnés errant dans les vallons. Comme les héros de ces légendes, je ne m’arrêtai pas pour les écouter, continuant à escalader des éboulis et à glisser dans l’herbe mouillée.
    J’avais vu des photographies de grands champs de bataille, ceux de la guerre de Sécession ou les plages de Normandie. Ce paysage-ci ne leur ressemblait pas. Il n’y avait pas de terre retournée, pas d’amoncellements de corps. Tout était calme, hormis les plaintes des blessés et les appels de ceux qui recherchaient, comme moi, un ami ou un mari perdu.
    Des arbres avaient été arrachés par les canonnades. Dans la faible lumière, les corps semblaient eux aussi transformés entroncs couchés, longues formes noires dans les hautes herbes, si ce n’était que certains d’entre eux bougeaient encore. Ici et là, une forme remuait faiblement, victime de la sorcellerie de la guerre, se débattant contre le sortilège de la mort.
    Je m’arrêtai et criai son nom dans la brume. Des voix me répondirent mais aucune n’était la sienne. Devant moi gisait un jeune homme, les bras grands ouverts, un air de stupéfaction sur le visage. Une mare de sang s’étalait sous son torse, faisant comme un grand halo. La partie inférieure de son corps se trouvait à deux mètres. Je marchai entre les corps morcelés, retroussant mes jupes et retenant ma respiration pour ne pas sentir la puissante odeur métallique du sang.
    La lumière baissait rapidement mais j’aperçus Jamie dès que je fus parvenue au sommet de la crête suivante. Il était étendu à plat ventre dans un creux, un bras replié sous lui. Le dos de sa veste bleue était presque noir de sueur. Il avait les jambes écartées et les pieds tordus.
    Mon sang se figea et je dévalai la pente vers lui, dérapant dans la boue et trébuchant contre les caillasses. Avant d’avoir pu le rejoindre, j’aperçus une silhouette jaillir d’un buisson et se précipiter sur lui. Elle tomba à genoux à ses côtés et, sans une hésitation, lui attrapa les cheveux et lui tira la tête sur le côté. Un objet brillait dans sa main.
    — Arrêtez ! hurlai-je. Lâchez-le tout de suite !
    Surprise, elle se retourna vers moi tandis que je parcourais les derniers mètres. Ses petits yeux injectés de sang me fixèrent dans un visage rond couvert de suie et de crasse.
    — Dégage ! grogna-t-elle. Je l’ai trouvé la première.
    L’objet dans sa main était un couteau qu’elle pointa vers moi pour me tenir à distance. J’étais bien trop furieuse et trop inquiète pour Jamie pour avoir peur.
    — Lâchez-le ! Si vous le touchez, je vous tue !
    Je serrai les poings et je devais avoir l’air d’une vraie furie car, impressionnée, elle lâcha les cheveux de Jamie.
    — Il est à moi ! répéta-t-elle en levant un menton pugnace. Va t’en chercher un autre.
    Une autre forme surgit du brouillard et se

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