Les fils de la liberté
peu plus dans la forêt. Il entendait l’Anglais derrière lui, faisant un vacarme de tous les diables. Il criait :
— Murray ! Murray, c’est vous ? Attendez-moi !
— Frère du loup, c’est toi ? demanda une autre voix en iroquois.
Ian jura en gaélique dans sa barbe et s’arrêta.
— Mais oui, c’est toi ! Qu’as-tu fait de ton démon loup ? Il s’est enfin fait dévorer par une bête plus féroce ?
Son vieil ami Glouton lui adressa un sourire radieux tout en réajustant son pagne après s’être soulagé.
— J’espère que c’est toi qui seras dévoré, répondit Ian à voix basse. Il faut que je file. Il y a un Anglais qui me suit.
L’expression de Glouton changea aussitôt sans qu’il se soit départi de son sourire. Il lui indiqua d’un signe de tête le début d’un sentier derrière lui. Puis ses traits s’affaissèrent d’un coup et il partit en titubant dans la direction d’où Ian était venu.
Ian venait juste de disparaître quand William surgit dans la clairière. Il faillit percuter Glouton qui s’accrocha aux revers de sa redingote et plongea un regard vaporeux dans le sien.
— Whisky ? demanda-t-il.
— Je n’ai pas de whisky, répondit William d’un ton sec mais poli.
Il tenta de se dégager mais Glouton était plus agile qu’il ne le paraissait ; sitôt lui ôtait-il une main d’un côté qu’elle se posait de l’autre. Pour ajouter à sa performance, Glouton commença à lui raconter – en iroquois – l’histoire de la fameuse chasse à laquelle il devait son nom, s’arrêtant périodiquement pour hurler « WHISKYYYY ! » et le serrer dans ses bras.
Ian ne s’attarda pas pour admirer la facilité du jeune Anglais avec les langues – elle était impressionnante. Il fila le plus rapidement possible, décrivant un grand détour vers l’ouest. Il ne pouvait retraverser le camp. Il aurait pu se réfugier dans un des camps indiens mais William risquait de chercher à l’y retrouver une fois débarrassé de Glouton.
— Mais qu’est-ce qu’il me veut ? marmonna-t-il.
William savait forcément qu’il était dans le camp des continentaux après l’incident avec Denny Hunter et le jeu du déserteur. Pourtant, il n’avait pas donné l’alerte. Il avait plutôt eu l’air d’avoir envie de discuter.
Peut-être était-ce un piège. William était jeune mais pas idiot. Il ne pouvait l’être avec un tel pè… Quoi qu’il en soit, il était bel et bien à ses trousses.
Les voix derrière lui s’amenuisaient. William avait peut-être reconnu Glouton, même s’il était quasi moribond lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Dans ce cas, il saurait que Glouton était son ami et détecterait la ruse. Peu importait, il était à présent profondément enfoncé dans la forêt. William ne le rattraperait jamais.
Il sentit une odeur de fumée et de viande fraîche et changea de cap, descendant un versant vers la berge d’un petit torrent. Il y avait là un camp mohawk ; il le reconnut aussitôt.
Il s’arrêta. L’odeur, la présence… il avait été irrémédiablement attiré, comme un papillon de nuit par une flamme. Cependant, il ne pouvait y aller. Pas pour le moment. Si William avait reconnu Glouton, le premier endroit où il chercherait Ian serait le camp mohawk.
— Encore toi ? dit une voix désagréable en iroquois. Décidément, tu n’apprendras jamais.
En réalité, il avait appris. Ainsi qu’à frapper le premier. Il pivota sur ses talons, étirant son poing quelque part derrière son genou et le projetant en arc avec toute la puissance de son corps. Lorsque, tout jeune, il avait commencé à traîner seul dans Edimbourg, son oncle lui avait conseillé : « Cherche à frapper à travers le visage de ton adversaire. » Comme toujours, les conseils d’oncle Jamie étaient excellents.
Les articulations de ses doigts éclatèrent avec un craquement qui envoya une décharge tout le long de son bras et jusque dans sa mâchoire… mais Sun Elk vola de plusieurs mètres en arrière et s’écrasa contre un arbre.
Ian se massa la main, se souvenant un peu tard qu’oncle Jamie lui avait également conseillé : « Vise les parties, si tu peux. »
Peu importait, cela en avait valu la peine. Sun Elk gémissait, les paupières papillotant. Ian s’interrogeait sur l’opportunité de lui adresser quelques remarques désobligeantes avant de s’éloigner d’un pas hautain ou de lui envoyer un coup de pied dans les
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