Les fils de la liberté
synchronisé avec celui du poignet de Jamie. Si j’attendais un signe, celui-ci ferait l’affaire. A la une, à la deux, à la trois… partez ! Je saisis mon scalpel.
Une courte incision horizontale sur les articulations de l’annulaire et du majeur puis une autre plus longue par-dessous, presque jusqu’au poignet. J’écartai délicatement la peau lâche du bout de mes ciseaux et la coinçai avec l’une des longues sondes en acier, la plantant dans le bois mou de la planche.
J’avais rempli un petit flacon atomiseur d’une solution d’eau distillée et d’alcool. Comme il était impossible d’obtenir des conditions stériles, j’en vaporisai mon champ d’opération et nettoyai le sang. Il n’y en avait pas beaucoup. Le vasoconstricteur que je lui avais administré faisait effet mais cela ne durerait pas longtemps.
Je repoussai précautionneusement les fibres musculaires qui étaient encore entières, exposai l’os et le tendon qui le recouvrait. Il lançait des éclats argentés qui contrastaient avec les couleurs vives de la chair. L’épée l’avait quasiment sectionné, s’arrêtant à un centimètre et quelques des os carpiens. Jesectionnai les fibres restantes et la main se mit à remuer par réflexe.
Déconcertée, je me mordis la lèvre et attendis, mais Jamie ne bougea pas. Quelque chose était différent : son corps était plus vivant que celui d’un homme sous éther ou penthotal. Il n’était pas anesthésié mais engourdi par la drogue. Sa chair résistait ; ce n’était pas la flaccidité docile à laquelle j’avais été habituée dans les blocs opératoires de mon temps. Toutefois, on était loin des convulsions que j’avais dû affronter en opérant des patients sous ma tente de campagne.
J’écartai le tendon sectionné à l’aide du forceps. Ensuite venait le faisceau profond du nerf ulnaire, délicat réseau de myéline blanche dont les branches s’étalaient pour disparaître dans la profondeur des tissus. Parfait, il se trouvait suffisamment proche du majeur pour que je puisse travailler sans risquer d’endommager le tronc principal du nerf.
On ne savait jamais à l’avance sur quoi on allait tomber. Les illustrations des manuels d’anatomie étaient une chose mais tout chirurgien savait que chaque corps était unique. Un estomac pouvait se trouver plus ou moins où vous l’attendiez mais les nerfs et vaisseaux sanguins qui l’alimentaient pouvaient être n’importe où dans le voisinage, variant en taille et en nombre.
Désormais, je connaissais les secrets de sa main. Je voyais son mécanisme, les structures qui lui donnaient sa forme et ses mouvements. Il y avait le bel arc du troisième métacarpe et l’entrelacs de ses vaisseaux. Le sang perlait, lent et vif ; rouge profond dans la minuscule flaque au centre du champ ouvert ; écarlate là où il tachait l’os entaillé ; bleu roi dans la minuscule veine qui palpitait sous l’articulation ; noirâtre dans la croûte bordant la plaie originale, là où il avait coagulé.
J’avais su, sans me demander comment, que le quatrième métacarpe serait en miettes. La lame avait heurté le segment proximal de l’os et broyé sa petite extrémité près du centre de la main.
Je devrais donc l’extraire également. De toute manière, il me faudrait enlever tous les débris d’os afin qu’ils n’irritent pas les tissus adjacents. Extraire le métacarpe rapprocherait le majeuret l’auriculaire, rendant la main plus étroite et éliminant l’espace laissé par le doigt manquant.
Je tirai fort sur l’annulaire mutilé afin d’ouvrir les espaces articulaires puis sectionnai le ligament du bout de mon scalpel. Les cartilages se séparèrent avec un petit pop ! et Jamie émit un grognement, sa main se tordant sur la planche.
— Chut… murmurai-je en la tenant fermement. Chut, tout va bien. Je suis là, tout va bien.
Je ne pouvais rien pour les jeunes hommes agonisant sur le champ de bataille mais ici, pour lui, je pouvais exercer ma magie en sachant que mon sortilège tiendrait. Il m’entendit à travers ses rêves opiacés. Il fronça les sourcils, marmonna quelque chose d’inintelligible puis soupira et se détendit, son poignet redevenant mou dans ma main.
Un coq chanta non loin. En relevant les yeux vers la paroi de la tente, je constatai qu’il faisait plus clair. Un léger vent porté par l’aube s’infiltra par l’ouverture derrière moi, caresse sur ma nuque.
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