Les fleurs d'acier
de Marchegai dans un anneau, il jeta un nouveau regard sur le donjon bâti en quatre niveaux, à en juger par ses ouvertures.
« Est-ce là-dedans qu’ils se réuniront… si toutefois ils se réunissent ? »
Non ! Non ! Il ne céderait pas au découragement.
— Allons-y, Thierry… Raymond et Saladin, demeurez… Toi, Raymond, ouvre l’œil !
Cette fois, ils s’arrêtèrent devant les archers.
— Les hérauts marquent-ils les épées et les masses ?
— Messire, dit le barbu, sachez qu’en leur absence, les juges le font aussi bien qu’eux. Et jusqu’ici, aucun participant ne s’en est triboulé.
— D’où nous venons, cet usage n’est jamais départi aux juges. De plus, on s’y conforme la veille de la fête d’armes.
— Il se peut. Vous êtes en Poitou… Encore bien beau, par le temps qui court, que ces liesses puissent avoir lieu… Il vous faudra laisser vos armes courtoises en notre armerie. Elles vous seront rendues avant votre entrée en lice… Suivez-moi, à moins que vous ne préfériez revenir demain ou samedi matin.
— Nous te suivons.
Le sergent les mena jusqu’au seuil d’un tinel. Comme, côté vallon, l’escalade était impossible, deux baies en plein ceintre, séparées par une colonnette, éclairaient largement cette pièce voûtée en berceau. Sur l’une des banquettes de pierre attenantes, un lévrier dormait. Des bûches et des sarments embrasaient une cheminée dont la hotte reposait sur des culots sculptés. Les lueurs du foyer révélaient, toute proche, l’amorce d’un escalier aménagé dans la muraille. Au centre, attablés devant des liasses de parchemins, des encriers, des plumes et un Livre Armorial énorme, trois hommes devisaient, vêtus de robes sombres.
— Holà, s’écria un gros à une extrémité. Encore deux !… Approchez !
Ogier obéit. Thierry demeura en retrait.
— Qui êtes-vous ? aboya le juge proche du pansu, un moustachu coléreux à face rouge.
— Ogier d’Ansignan, messires, mais on m’appelle surtout du nom de mon terroir de Langue d’Oc : Fenouillet… Voici mon écuyer, Thierry Champartel, qui souhaite être admis en lice.
— Bien, dit une voix d’une fadeur extrême.
Ce juge-là était glabre, maigre, étroit d’épaules. Une dague à pommeau d’or pendait à sa ceinture. Le cheveu grisonnant, la bouche exsangue, l’œil éraillé, il semblait épuisé.
— Quelles sont vos armes ? dit-il en se redressant, le dos appuyé contre le roquillard de sa chaire.
— De sable au canton d’or… J’ai laissé mon écu à Morthemer…
Le gros juge tressaillit :
— C’est vous !… Messire Espagne, qui vous a précédés, nous a demandé d’agréer votre écuyer pour lequel il semble nourrir quelque intérêt.
Ogier adressa un clin d’œil à Thierry – indigné – tandis que le juge maladif consultait l’armorial :
— Ansignan en Fenouillet. Voyons si ces armes ne sont pas à enquerre [300] … De sable… canton d’or… C’est cela… Si vous y tenez tant, nous vous appellerons Fenouillet !
Ogier fut insensible à ce trait d’ironie. En lui fournissant ces deux noms et en lui conseillant d’adopter ces armoiries, Adelis lui avait frayé la voie. Récusé par ces juges et leur devenant suspect, il eût été contraint de se présenter au dernier moment dans la lice, bassinet clos, comme n’importe quel chevalier aventureux. Admis sans difficulté, qui se soucierait de lui ?
Tandis qu’à grands traits de plume, le juge maladif reproduisait son écu sur un coin de parchemin puis y inscrivait son nom, Ogier déclara que son écuyer, de petite naissance, ne pouvait figurer sur un armorial.
— Il forgeait et gironnait [301] des plates, messires.
C’était un demi-mensonge. Ogier ajouta aussitôt :
— Sa vaillance est sans bornes et son nomChampartel [302] .
Le gros homme enjoué ouvrit son Armorial, chercha une page et, l’ayant trouvée, s’adressa à Thierry :
— Nous ne barguignons pas pour les détails. Le grand plaisir de messire André, c’est d’avoir lice pleine… et elle est grande ! Alors, Champartel, afin qu’on te reconnaisse, tu porteras pour deux jours seulement, un martel sur ton écu… Ce meuble est rare. Il y a les Martel de Poitou qui en ont trois ; les La Farge, en Auvergne, qui en ont trois ; les Martel de Normandie, trois ; les Goustimenil de Normandie, trois ; les Basqueville, de Normandie également trois ; les Limbeuf,
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