Les fleurs d'acier
découvert.
— Je t’ai eu ! J’attendais ce coup-là. Aussi vrai que je m’appelle Ogier !
Ce changement de main, Blanquefort le lui avait enseigné. Astuce merveilleuse. Il avait frappé avec une telle volupté de meurtre qu’il en larmoyait de plaisir.
Ramonnet tituba, l’abdomen ouvert, éparpillant du sang et des matières.
Le cœur. Il bat, il cogne sur les poumons. La gorge en feu ! Âcre gaieté d’éliminer un monstre. « Il s’agenouille, sa lame tombe… Et maintenant qu’il sache ! » Du talon, Ogier renversa le sergent. La coiffe de fer heurta les dalles, quitta le crâne et toupina comme un couvercle de marmite.
— Voilà presque six ans, Ramonnet, que j’ai décidé ton trépas !
Le mourant frémissait. Cheveux incultes, front fripé par l’effort de vivre – et de savoir – ; des yeux où la mort dissipait la fureur.
— Tu as jadis traîné mes armes dans la fange. Deux lions y figuraient… Souviens-t’en. C’était quelques jours après l’Écluse, dans la cour du château de la Broye… D’azur à deux lions d’or affrontés. Et ces lions, tu riais quand Blainville les équeuta… sitôt après avoir vilipendé un homme !
Les paupières cillèrent ; la bouche tremblota :
— Ogier d’Argouges !
Les yeux se révulsèrent ; un hoquet, et le ventre sanglant gargouilla.
— Vous mourrez tous !… Tu es le second. Le premier, c’était ton compère Eudes. Cette donzelle de Blérancourt ! Si tu entrevois déjà Dieu ou le diable, dis-moi : Gerbold qui l’a meurtri aussi vilainement ?
La bouche s’entrouvrit ; un râle en coula, mêlé à une écume rouge. Du pied, Ogier pesa sur la plaie répugnante :
— Qui ?
— Radigo de Lerga… Il est ici… Il… joutera… Il… c’est un… chevalier…
Ogier s’éloigna : cet homme maintenant pouvait mourir en paix.
Il descendit l’escalier en se tenant à la rampe. Il chancelait. On se battait toujours. Sitôt en bas, il se courba pour éviter un pichet lancé dans sa direction.
Derrière les barils, Thierry et Raymond l’appelèrent.
— Holà ! messire…
— Hâtez-vous !
Repoussant des adversaires empoignés, il les rejoignit et s’exclama, béant d’étonnement :
— Briatexte !
Allongé sur le flanc, le Breton grignait de souffrance. Le poignard enfoncé dans son dos était une arme rustique : un manche de bois, large ; la lame avait été poussée jusqu’au talon.
— Un sale coup de traîtrise, dit Raymond.
Jeannette apparut, poussa un cri d’horreur et voulut se précipiter. Thierry la ceintura sans façons :
— Il se peut, beauté, que tu le connaisses, mais tu n’en approcheras pas.
La servante eût pu se défendre ; elle y renonça et gagna la cuisine. Ogier désigna une porte :
— Ouvre-la, Raymond… Qu’y a-t-il derrière ?
— Le cellier.
— Aide-moi à l’emporter… Thierry, siffle Saladin et veillez tous les deux…
Accrochées aux angles d’une étroite fenêtre, des arantèles pendaient, si épaisses et poudreuses qu’Ogier se crut en quelque recoin de Gratot. Le long d’un mur, des futailles, tonneaux et tonnelets montaient à l’assaut du plafond. En face, des dressoirs soutenaient des pots, des amphores. Il y avait suffisance d’espace, au centre, pour y déposer Briatexte. Une fois qu’il fût allongé sur le flanc, Raymond chercha de quoi lui soutenir la tête. Un sac de grains fit l’affaire.
— Laisse-nous seuls, à présent, dit Ogier.
La porte refermée, le blessé ne put réprimer un gémissement :
— N’ôte pas cette lame : elle retient mon sang… Je voulais avoir la mort belle… honorable, et tu vois : je me suis fait percer bêtement !
— Bêtement. C’est la revanche d’Apolline. Et moi qui souhaitais t’affronter…
Un muscle tressaillit sur la tempe ruisselante.
— Je n’y tenais pas, Ogier. Ma raison l’exigeait, mon cœur s’y refusait. Oui : mon cœur !… M’en crois-tu dépourvu ?
Un sourire : les poils de la banlèvre [321] se souillèrent d’un sang où les mots se collaient :
— J’ai été tel que toi… Aidable, généreux… Je me retrouvais en toi sans que tu t’en doutes !
Ogier ébahi se pencha. Du fait qu’il acceptait son trépas de cette façon sereine, comme une délivrance et non un châtiment, Briatexte se transfigurait à ses yeux. Tant de tranquillité donnait à son noir personnage un éclat nouveau, digne de miséricorde.
— Qui
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