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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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la tirer, amenant ainsi le clerc contre lui afin de le dévisager de près.
    — Vous avez moult changé. Abus de bonne chère… et du vin qui n’est point de messe !
    Cette face grasse et couperosée avait perdu sa gaieté, voire son aptitude à la jubilation. L’inquiétude ou le remords rongeait cet homme, sans doute inexorablement.
    — Ne vous effrayez pas, mon révérendissime… Mais jurez-moi sur cette lourde et sainte Croix de conserver pour vous ce que je vais vous dire, et d’accomplir sans broncher, pour la sauvegarde de votre sainte âme, ce que je vais vous demander !
    Le clerc rougit et bredouilla. Immobile sur son séant, Saladin l’observait.
    — Mon fils, vos façons et votre chien m’indisposent !
    — Mon père, vos façons n’ont pas toujours été telles qu’il faille les louanger !
    — Impertinent !
    « Il se fâche ; ses bajoues frémissent et il sue sous sa bure ! »
    — Je viens de Normandie, frère Isambert. Vous connaissez le Pays de Sapience… Vous y avez vécu… Vous en êtes parti en courant…
    Il n’y avait plus à hésiter : assener la vérité, c’était acquérir sur ce chapon plus d’autorité qu’il n’en fallait, sans doute, pour l’amener à contribution.
    — Vous étiez à Gratot et vous en avez fui, laissant derrière vous le malheur, les larmes, la ruine.
    — Comment le savez-vous ?
    — Je suis Ogier d’Argouges.
    Le moine hoqueta et ferma les yeux comme pour s’enfermer dans ses souvenirs. Sous son front court et suant, des vestiges lointains se reconstituaient ; des scènes assoupies par la béatitude ecclésiastique reprenaient vie, mouvements et couleurs. Flammes, sang, destructions, cris d’horreur et de haine, sanglots de désespoir… Sacristain ! De ce paisible office qui l’avait à la fois bletti et boursouflé, frère Isambert basculait dans la guerre.
    — Ogier ?… Je… On m’avait dit…
    — Je suis vivant, saint homme. Et chevalier : armé à Rechignac, chez mon oncle Guillaume, où j’étais bachelier… Dites-vous qu’en revenant à Gratot, après l’Écluse, je me serais trouvé en péril de mort. C’est pourquoi mon père fit croire à mon trépas… même à ma mère.
    Le moine porta ses mains à son cœur. Une telle présence, devant lui, l’angoissait et l’humiliait d’importance : il se savait jugé sans indulgence et devait se demander si cette rencontre procédait du hasard ou de la volonté divine.
    — Ah ! là, là, quel coup tu me donnes… C’est vrai que tu ressembles à Godefroy… mais plus encore à Luciane… D’où viens-tu ? De Gratot ?
    — De Gratot, où vos anciennes ouailles souffrent la géhenne… À l’inverse de vous, messire moine, mon père, ma sœur, nos gens sont bien piteux et bien maigres… Le bon Gerbold, après votre abandon, leur apporta longtemps le réconfort divin, mais on l’a martyrisé avant de l’occire…
    — Qui ?
    Ogier opposa son rire à l’indignation du clerc :
    — Vous le savez fort bien : les truands de Blainville !… Sachez que ma mère est morte d’affliction et qu’Aude n’en peut mais…
    Il perçut un long frisson sous la robe élimée, tachée de cire par endroits. Dardant son regard sur le ventre insolent, il vit les mains molles et blêmes saisir le crucifix : une haute croix de fer supportant un Christ de cuivre et qui tenait à sa corde non pas par un anneau fixé au sommet de la potence, mais par deux boucles de fer rivées aux extrémités de la traverse.
    « D’où tient-il cet objet qu’il a saisi comme une arme ? »
    Renonçant à cette question, Ogier demanda :
    — Qu’avez-vous fait, saint homme, après vous être escampé le matin où les Anquetil furent enterrés sans votre bénédiction ?
    Le moine leva la tête ; ses fanons couenneux s’affermirent. Ses lèvres se décollèrent à plusieurs reprises : l’émotion et la peur lui desséchaient la bouche. Soudain, il se décida :
    — J’ai couru droit sur Coutances. Je voulais gagner Hambye où frère Peynel m’eût accueilli quelques jours… Or, la malechance me pourchassait : au carrefour du Bellais, je suis tombé sur Ramonnet et deux Navarrais. Ils m’ont amené à Blainville… Il m’a emprisonné… J’ai vécu sept mois de pain et d’eau… Tu peux t’en ébaudir !… Chaque aube, chaque soir, en me privant soit d’eau, soit d’un pain dont ils salaient cruellement la farine, Blainville ou Ramonnet, d’autres

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