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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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haubergeons et cottes constellées de bossettes de cuivre, d’or ou d’argent – s’ajoutait la fleuraison des tabards gironnés, écartelés ou échiquetés ; des pourpoints, surcots et flotternels de toutes formes, les uns aux manches bouffant aux épaules, les autres taillées en barbes d’écrevisse ou percées de crevés doublés de soie, et saignant comme des blessures.
    Un chevalier vêtu de velours bleu dépassa les deux compagnons. Il marchait entre un écuyer portant son heaume à plat sur un coussin et un sergent présentant sa bannière, si longue et si large qu’il eût pu dormir dedans.
    — Place ! Place !
    — Par Dieu, messeigneurs, laissez passer Maubue de Mainemares !
    — Il n’est pas plus pressé que nous, hé, gonfanonier de mon cul !
    — Allons, messire la forte tête, dégagez, je vous prie !
    — Place à messire Gauvain Chenin, chevalier, seigneur de Lussac !
    — Laissez passer le sire de Quelen !
    « Un Breton, se dit Ogier. Est-il l’ami ou l’ennemi de Guesclin ? »
    L’écuyer de l’Armoricain hurlait sa devise :
    —  En peh amser quelen [374]  ! Place ! Place !
    Une marée de voix et de couleurs moirée d’éclairs d’acier bouillonnait en montant vers les murailles où çà et là, entre deux merlons, scintillait le fer d’un vouge ou le dôme d’une barbute. Et des entretiens s’engageaient dans un tutoiement de bonne humeur :
    — Pourvu que ce beau temps dure !… Je couche sous la tente. Et toi ?
    — Moi aussi, au bord de la Vienne, près de l’enclos aux chevaux.
    — D’où viens-tu ?
    — De Châtillon, sur l’Indre.
    — Ton nom ?
    — Bernard de Grésignac.
    — Veux-tu fournir des courses contre moi ?
    — Ton nom ?
    — Tassart de Barsac, en Guyenne. La bonne : celle qui se reconnaît féale de Philippe… Les hommes comme moi sont rares, faut dire.
    — Tu portes un cygne noir sur ton heaume. Je le reconnaîtrai.
    — Tu portes une unicorne bleue sur le tien. Je m’en souviendrai ! Nous verrons ainsi quel est le meilleur… Et ton nom, à toi, devant ?
    — Jean de Morbecque.
    Soudain, dressé sur la margelle du pont enjambant le Talbat, le moine Gyselbert brandit sa croix processionnelle. La même fureur que la veille ravageait ses traits enfarinés de poussière :
    — Hommes, souvenez-vous !… Vous allez ce meshui au-devant de la joie. Demain, vous irez au-devant de la mort… Plutôt que de vous égayer de joutes en tournois, et de vous enorgueillir des futiles ornements de vos heaumes, que ne regardez-vous les humbles auxquels, en bons chevaliers, vous devriez accorder protection et charité !… Ils souffrent, et vous…
    — Ce prêcheur nous vitupère trop ! dit un homme à cheval.
    — Les manants de Chauvigny ne souffrent point ! hurla un autre. À preuve qu’on peut proposer des agnels de bon or à leurs filles, elles les refusent… Elles sont trop bien nourries !
    — Et Dieu qui vous voit, mes frères ; Dieu le Juste, Dieu le…
    Il y eut un plouf et des rires : le moine venait de choir dans le ruisseau.
    — Va te faire bénir ! dit un écuyer hilare. Y a pas d’indigents à Chauvigny [375] .
    Ogier se précipita jusqu’au parapet. Il fut soulagé de voir Gyselbert en bon état, pataugeant dans l’eau qui lui montait aux hanches. De nouveau, le moine souleva sa croix :
    — La pestilence !… La morille [376]  !… Vous baignerez bientôt dans son jus noir !
    Ogier entraîna Thierry, livide :
    — Ne te soucie pas des menaces de ce clerc. À défaut de pouvoir mortifier notre chair, il veut nous flageller l’esprit !
    Il se trouva tout à la fois insolent, injuste et sentencieux.
    — Dieu sait que nous avons bon cœur…
    — Il sait, Thierry… Merdaille, que cet écu m’encombre !
    La targe de Kergœt étant demeurée sous la tente, après que Denis l’eut peinte, Ogier portait son grand bouclier dont la guige lui entamait l’épaule. Hormis cette gêne, il ne lui déplaisait pas d’être vêtu sobrement. Autour de lui, des présomptueux devaient penser : « Voilà un bourgeois anobli. Il se fera bouter dès sa première course ! » Eh bien, ils verraient…
    — Tout de même, dit-il, ce moine !
    Il frémit à l’idée de retrouver frère Isambert. Il devinerait d’emblée si le presbytérien lui accordait son aide ou si, malgré ses protestations habiles, il devait s’en méfier. Il faudrait qu’ils s’entretinssent loin de Blainville et de

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