Les fleurs d'acier
cœur ruait contre sa cuirasse ; ses jambes vacillaient, leurs articulations s’alourdissaient rendant sa démarche ébrieuse. Parfois sa chair semblait adhérer à l’armure.
— Ah ! s’exclama-t-il en voyant Renaud glisser, lâcher son arme et choir à la renverse.
Cris et lamentations de tous ceux d’Augignac. Jamais leur champion ne se relèverait ! La pointe de Confiance toucha le colletin de mailles, sous le heaume.
— Qu’en dis-tu, damoiseau ?… Voilà que ton épée s’échappe avant ton âme !
Maigre joie que d’égorger ainsi ce malandrin, et déception de ne rien voir de son visage.
— Tue-le ! implora Tancrède toute proche.
Ogier souleva sa visière :
— Baron !… Accourez seul relever votre fils.
Visière close.
« J’ai bu un bon coup d’air. »
Thibaut d’Augignac livide et plaisant à observer, même partiellement, dans la vue du globe de fer, s’empressait de relever son fils.
« Regarde bien, baron !… Regarde bien le peu que tu vois de ton gars… Car il vit ses derniers moments… Parce que je suis bon, je l’occirai debout ! »
Bruits des lames encore, pareils à des crépitements lents et lourds. Ils vous résonnent jusqu’au fond des oreilles, jettent dans les paumes des poignées de fourmis cependant que les doigts semblent se couvrir d’engelures. Étincelles des aciers dont les tranchants s’émoussent. Grognements sous le métal où le souffle s’amenuise et devient buée. Imaginer le père de Renaud frissonnant de crainte et de contention ; Thierry, Raymond, Briatexte immobiles et cois proche de la cueillette [62] des autres… et Tancrède muette au milieu des deux groupes, Broiefort piaffant sous elle… Jouissait-elle comme une biche convoitée par deux mâles en rut ?
Renaud mollissait. Mal, lui aussi, aux épaules et aux bras. Et parce qu’il sentait son gars faiblir, Thibaut d’Augignac hurla :
— Hardi !… Tue-le !… Faut-il pour l’outrepercer, que je te remplace ?
Un taillant atteignit le bassinet d’Ogier. Dans le bourdonnement conséquent à cette secousse, il crut qu’en un éclair son visage éclatait. Une estocade lui succéda, foudroyante : passant sous la cubitière gauche, elle toucha l’articulation du coude. Aussitôt la douleur incendia les chairs. Bientôt, elle deviendrait insupportable.
« Il m’a eu ! Je n’ai pu eschever [63] ce maudit coup ! Il faut que je me destouille [64] de cet affreux ! »
— À toi !
Il avait frappé dur. Un coup à décapiter son adversaire dont le heaume, pourtant, tient bon. « Mais il chancelle… Il est plus estourbi que moi !… La mort !… La mort !… » Il écumait de rage et d’essoufflement. Son cerveau rissolait et bruissait sous cette injonction unique, destructive : « La mort ! La mort ! » En finir. Que Renaud craque et succombe. « Que je lui tranche un membre ! Que sa chair pendouille et s’en aille en lambeaux ! Qu’il souffre et hurle !… Ce malicieux a condamné Blanquefort au sépulcre !… Il a perfidement tué Rigobert… Il est l’auteur du trépas de Raoul Sidobre : un enfant… Il a voulu ma mort, il m’a manqué… Qu’il crève !… Que je venge aussi le viol de Bertine… onze ans… Tuer… Qu’il vomisse et pisse le sang… J’ai ma tête en feu. De la sueur dans mes yeux… De l’air ! »
Des ondes de férocité irradiaient du cœur d’Ogier. Il n’était plus un chevalier mais un archange acharné à séparer d’un corps rétif une âme impure.
Il répandit le reste de ses forces en une espèce de délire ; frappa sur une épaule que sa lame entama – cri furieux de Renaud. Frappa le heaume et y fit un creux.
Il grondait et râlait car son bras maintenant se mouvait avec difficulté. Il malmenait si ardemment Augignac que la prise de Confiance, entre ses gantelets, semblait devenir molle et fondante.
L’autre suffoquait sans doute, parait désespérément, et tandis que la vigueur de l’effronté s’étiolait, lui, Argouges, malgré la douleur accrochée à son coude, sentait bouillonner dans ses muscles une vitalité presque magique : Dieu l’assistait.
Fulgurante estocade. Confiance creva les mailles et les chairs pantelantes.
« Au cœur ! En plein cœur ! » Joie. Mieux : jouissance. Renaud hurla : effroi, fureur, douleur. Il tituba, du sang gicla et ruissela sur sa poitrine. Il s’effondra. Le rire de Tancrède accompagna sa chute.
Dégrisé par cette gaieté,
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