Les fleurs d'acier
vouloir briser ce bouclier, œuvre de Champartel, dont les lions d’or résistaient eux aussi à ses coups.
« Tu peux t’acharner, racaille ! Il est robuste. Je le tiens fermement !… Je savais ton aisance à manier les armes mais pas à ce point-là… Cogne ! Cogne tant que cela t’est possible !… Je ne te ressoigne [57] point, mais je fais le serment que je vais te soigner ! »
Il surveillait aussi le cheval d’Augignac : jeune et nerveux, le roncin supportait mal l’éperon parce que au dressage, sans doute, il en avait souffert.
« Il va faire un écart dont ce maudit pâtira. Il le faut ! Il le faut pour ma sauvegarde ! Pourquoi l’a-t-il préféré au Prinsault qu’il montait à Rechignac ? »
Les bêtes hennissaient en se poussant du flanc. Bien ferme sur ses étriers, incliné contre le garrot de Marchegai, Ogier se collait à son écu auquel, parfois, il appuyait le timbre de son bassinet. Les horions bourdonnaient alors dans sa tête. « Maudit sois-tu, Renaud ! » Il suait sous son globe de fer. Il fallait accepter cette sorte d’outrage dont devaient se gausser Thibaut d’Augignac, ses assesseurs et ses gens sur les murailles toutes proches.
« Je recule sans pouvoir fuir ni gauchir [58] . Il me faut reculer… amener ce lourdaud jusqu’à mes compagnons… Il est trop heureux de m’accabler pour éventer mon astuce… Nous y voilà presque… »
— Mords-le, Marchegai !
L’étalon noir attrapa le cheval d’Augignac au naseau ; furieux, celui-ci s’ébroua et se cabra, désarçonnant son cavalier dont la francisque tomba dans la boue – hors d’atteinte.
— Prépare ton épée, Renaud ! Qu’on en finisse !… Vous, les gars, aidez-moi à descendre.
Thierry et Raymond, prompts, efficaces. En face, tandis que son cheval trottait vers le pont-levis, les sergents d’Augignac remettaient Renaud debout.
« Je vais t’occire, malfaisant ! »
Confiance dans sa dextre, son écu le couvrant de la hanche à l’épaule, Ogier marcha au-devant de son adversaire et frémit d’étonnement :
« Qu’est-ce que c’est que cette lame ? Elle est noire, gluante… Quelle misture y avait-il dans son fourreau ? »
Les armes tintèrent, les boucliers s’entre-heurtèrent ; celui d’Augignac résonna sous des taillants furieux.
« Je vais t’engourdir les paumes ! Tes gantelets sont crottés : ta lame doit glisser !… Tu vas voir ce que c’est que d’avoir les mains vides ! »
Ogier frappait avec un plaisir féroce. Autour d’eux, parfois, le silence exhalait un cri pointu, et ce cri était commandement, exhortation, prière :
— Tue ! suppliait Tancrède.
Il dominait Renaud comme la justice, divine ou non, domine la crapule. Pendant cinq ans, ils s’étaient côtoyés, détestés sans jamais opposer leurs vigueurs et leurs armes, puisque telle était la volonté de Guillaume de Rechignac. Ils parlaient désormais le langage du sang.
L’écu d’Augignac tomba.
« Relicta non bene parmula [59] », eût commenté, sans doute, Arnaud Clergue qui n’avait pour targe que sa Bible.
Augignac manœuvrait son épée de ses deux mains gluantes. Ogier recula sous un moulinet, évita une flanconade et décida d’abandonner son bouclier.
Ils s’assenèrent de larges taillants que toujours l’une ou l’autre lame arrêtait. Parfois, Confiance parvenait jusqu’à la poitrine d’Augignac lors d’un coup de banderole. Le coquin la détournait avec l’impétuosité de la peur. Sous son écorce, Ogier macérait dans son jus.
« Le salaud !… Je le croyais moins aduré aux armes ! »
L’épée de Renaud, toujours. Eh bien, tant mieux : qu’il se meuve et s’épuise ! Chercher l’endroit de moindre résistance ; trouver la feinte après laquelle il faudrait crever d’un coup roide et précis ces mailles treslies si parfaitement unies. Et promptement, car la fatigue sinuait, inexorable.
« Cette chevauchée ne t’a rien valu. Achève-le ! Tout ce fer supporté depuis l’éveil du jour ! »
Il s’empêtrait dans des pensées confuses :
« Tu dois t’ennorter à occire ce gars ! Sois sourd aux prèchements [60] des siens !… Ta cuidançon [61] est injustifiée. Des deux, c’est toi le meilleur ! Tu le sais, prouve-le ! »
Sautant pour éviter un revers redoutable, il trébucha sur un tronçon de lance, ploya les genoux et talonna comme s’il se noyait. Tomber, c’était mourir.
Il étouffait ; son
Weitere Kostenlose Bücher