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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Ogier demeura immobile, sa lame tachetant de vermeil le sol fangeux guilloché d’empreintes de sabots et de semelles.
    Thibaut d’Augignac était auprès du vaincu. En grognant, il délaça et retira son heaume. Visage rouge, yeux exorbités et ternis, bouche entre-close sur son cri, le vaincu, même dévié [65] , conservait cette expression de malignité, de perversité, qu’Ogier avait toujours détestée. Saisissant le défunt aux épaules, le baron supplia :
    — Renaud !… Renaud !
    Voix impérieuse, éraillée d’impuissance.
    — Renaud !… Renaud !… Je t’implore de vivre !
    Le vieillard secoua vainement son fils. Ogier, indifférent, releva sa visière :
    — Tu juppes en vain, Thibaut d’Augignac… Dieu seul pourrait ressusciter ton gars s’il en valait la peine… Or, ce n’est pas le cas… Je l’ai châtié comme il le méritait… Thierry, délivre-moi de mon bassinet… Dénoue vélocement cette aiguillette qui le lie à mon colletin !
    L’écuyer s’exécuta. Tandis qu’il emplissait un grand coup ses poumons, rafraîchissant ainsi sa gorge en feu, les yeux d’Ogier croisèrent ceux du baron. Il y lut l’affliction, la fureur et la honte. Il fut tenté d’ajouter : « Tu l’as voulu aussi, ce jugement du diable ! Eh bien, tant pis pour toi et ta postérité ! » Mais à quoi bon. Il ne devait songer qu’à sa sauvegarde. Partir.
    « Mon bras », pensa-t-il.
    Il souffrait. La plaie devait être profonde. Il remit son épée sanglante au fourreau.
    — Pas le temps de vous soigner, messire, dit Raymond en amenant les chevaux. Voyez-les !
    Ceux d’Augignac s’étaient approchés du défunt. Renaud échec et mat. Ils se pénétraient de cette évidence. Le sénéchal faisait la moue ; l’Entaillé tapotait la prise de son arme. Une impression d’incrédulité, mais nullement de tristesse, émanait de ces hommes à court de hurlements, engourdis dans leur stupéfaction et leur silence. Leurs chevaux, paisibles, broutaient l’herbe peu avant le pont-levis sur lequel une dizaine d’archers venaient d’apparaître. Aucun chapelain ne les accompagnait. Renaud et son père s’étaient-ils montrés si présomptueux qu’ils avaient négligé la présence d’un clerc ?
    — Ne nous attardons pas, messire, dit Thierry.
    Ogier négligea ce conseil. Il avait envie de tousser, de cracher, tant l’effort avait corrodé sa gorge.
    Il rejoignit Tancrède. Elle souriait : la mort de Renaud l’enfiévrait d’un plaisir cru, vivace, qu’il trouva indécent.
    — Quitte Broiefort.
    Il balaya un début d’objection, avivant ainsi la douleur de sa blessure.
    — Aide-la, Thierry.
    Et, lorsqu’elle eut mis pied à terre :
    — Bon sang, cousine, tu as bien mérité de voir de près cette dépouille !
    Elle avait reculé comme s’il puait ou souffrait d’un mal redoutable. En fait, c’était vrai : en sa présence, parfois, il s’était senti malade. Étrange mal, fait de scrupules, d’ironie rétractée ainsi que d’une espèce de concupiscence anxieuse.
    Tancrède, enfin, le suivit. Elle supportait l’armure. Sa fierté dominant sa répugnance, elle allait abaisser son regard sur le trépassé lorsque Thibaut d’Augignac se releva et l’empoigna aux épaules :
    — Putain !… Tu te réjouis un peu trop !
    Tancrède se dégagea et sourit dans l’embrasure de son bassinet :
    — Bas les pattes, baron !… Votre courroux me plaît autant que votre deuil… Auriez-vous perdu la mémoire ?… Quand, à l’aube, vous m’avez visitée dans ma geôle, ne m’avez-vous pas dit que si mon cousin succombait face à votre malebête, vous me livreriez en pâture à vos hommes ?… Que voudriez-vous donc, maintenant ? Que je pleure ? Eh bien, non : Renaud est mort, bien mort, et je m’en ébaudis !
    Briatexte s’interposa entre cette fille agressive et ce vieillard douloureux dont la dague, soudain, armait le poing.
    — Par Dieu, baron ! Le sang de ton fils ne te suffit-il pas ? Voudrais-tu que j’y ajoute le tien ?
    À la vue de l’épée pointée sur sa poitrine, Thibaut d’Augignac recula et trébucha sur le défunt. Ses gens grognèrent, surtout l’Entaillé, assoiffé de revanche. Ogier, méfiant, se tourna vers le pont-levis. Les archers demeuraient immobiles. Il regarda sa cubitière teintée de rouge, tandis que Briatexte ricanait :
    — La même plaie que celle que tu m’as faite… En somme, c’est Renaud qui m’a

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