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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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contenu de cette robe fripée, ces seins, ces cuisses claires et leur ombreux voisinage. Il s’en voulut de l’avoir épiée, découverte, et de la découvrir encore intacte – et désirable – dans ses souvenirs.
    — N’ayez crainte de me faire mal, Adelis. Je ne saurais m’en courroucer.
    — Videz donc tout de même ce gobelet, demanda dame Perrine.
    Il obéit, soutenu par Bressolles. Bien qu’onctueux, le liquide corroda sa gorge. Mouillé presque aussitôt d’une sueur ardente, il sentit à peine l’eau-de-vie brûler les lèvres de sa blessure ; mais en perçant les chairs, l’aiguille ranima la douleur engourdie. Il gémit, entendit s’exclamer Champartel, et bascula dans un puits de ténèbres.
    Silence ; un silence au bruissement de mer paisible. Il percevait des cliquetis de fer, du fond de cette étuve emplie de vapeurs noires où il gisait, inerte, et les sens aiguisés.
    — Dites-moi où je suis, par pitié !
    Chasser ces brumes tournoyantes et lugubres. « En quelle geôle suis-je tombé ? » Voir ! Se délivrer de ces famées insupportables.
    — Dites-moi…
    Il cessa de gémir : il voyait maintenant. Réels et lointains, lents et bruyants, des hommes couverts de mailles riaient et se préparaient sur des appontements : chevaliers, écuyers, piétaille, mercenaires. Dans le ciel ondulaient des gonfanons et estranières [71] aux fleurs de lis. Dessous, accrochés aux accastillages de proue et de poupe, des rangs d’écus bariolés frappés pour la plupart d’animaux flamboyants – cerfs, loups, oiseaux, dragons, griffons – et parmi eux, sur fond d’azur, les lions d’or fiers et purs des Argouges. Et ce havre où les bourrasques sifflaient dans les drisses et les échelles de corde : Honfleur !
    — Non ! Non !… Ça ne va pas recommencer !
    Les berges verdoyantes de la Seine. Et tout au bout de cette voie liquide, une forêt de mâts fleuris de bannières. Derrière, invisible et redoutable, ivre de haine, elle aussi, l’Angleterre.
    — Laissez-moi donc à terre !… Laissez-moi revenir à Gratot !
    Cris vains. Il y avait un ricanement quelque part. Ce rire affreux, il le connaissait !… Fuir !… Mais comment ? Cet homme disposait du Pouvoir.
    — Père !… Ce chevalier est un démon… Gardez-vous !… Gardez-vous de provoquer Blainville… Ce malfaisant veut notre mort… nos terres… ma sœur Aude et…
    La mer encore. « Nous allons, messeigneurs, conquérir l’Angleterre ! » Chaleur sous les voiles gonflées, multicolores. Le Christophe… Comme tout devenait simple ! Le plus grand des vaisseaux conquis aux Goddons. Et dessus, lui, Ogier… Et son père Godefroy. Son oncle : Guillaume. Et Blanquefort… Et d’autres, enlisés dans l’épaisseur nébuleuse des souvenirs. Et Richard de Blainville, hautain, souverain sur le pont… La grande flotte de France ondulant sur les vagues, portée vers la Flandre et tout à coup, en face…
    — Oyez ! Voilà les Anglais.
    —  Il déraisonne.
    Trois cents nefs bourrées d’hommes d’armes sur un fond de ciel pur.
    — La guerre ! La guerre !
    —  Apaisez - vous, messire… Allons, cessez de vous agiter !
    Qui lui parlait ainsi ?
    — Je ne vois rien ! Délivrez-moi de ce baril où mon père a exigé que j’entre !… Par pitié !… Je ne vois rien, vous dis-je !… À l’arme ! À l’arme !
    Les Goddons voguaient droit sur les navires et les gabarres de France, immobiles, enchaînés les uns aux autres et formant frontière à l’embouchure de l’Escaut. Les nuées de sagettes avant les abordages ; les cris, les hurlements de douleur et de rage… Et lui, Ogier, tapi dans ce tonneau empestant la saumure tandis que son père et ses compagnons résistaient de leur mieux au bouteis [72] des Goddons… Rouge… Tout était rouge. Rouge sang. Rouge vif. Viscosités humaines sur le pont… Rouge… On y taillait, coupait, cravantait [73] du guerrier… Rouge… Son père qui lançait sa dague sur Édouard III et l’atteignait à la cuisse… Trois contre lui, Godefroy d’Argouges… Rouge…
    — Ces gueux vont l’assommer !… Père ! Père !
    —  Cette lame, Augignac l’avait empoisonnée. Il est bon qu’il ait cette fièvre… Le mal le quittera sans doute avec sa sueur.
    — J’ai peur.
    — Il ne faut pas, dame Adelis… Aussi vrai que je m’appelle Perrine, il s’en remettra !
    — Je le connais bien. Il est solide, foi de Champartel !… Tout

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