Les fleurs d'acier
l’amour.
— Sauvez-moi !
Accroché à cette inconnue, son délire, presque aussitôt, se dépeupla des fantômes hostiles.
— Vous guérirez.
Qui était-elle ? Il la serrait comme il eût serré une épave. Il l’enlaçait comme une épouse. Un souffle approchait contre son visage la douce rondeur d’une épaule. Enveloppé de tendresse et de compassion, il s’enlisait dans une sorte de bonheur que nulle autre créature n’eût pu lui donner lorsque le mal resurgit, feu et flammes, pernicieux, insatiable, assaillant à la fois le cœur et les viscères et enfonçant dans le crâne où fumaient les pensées, des clous incandescents.
— Ôtez-moi donc ce bassinet !… Il est trop étroit et j’étouffe.
Mains fraîches, doigts agiles montant et descendant sur la nuque.
— Ne vous courroucez pas.
Tout proches, un sein soyeux, une hanche dure ; même dans ces tourments infernaux, rien ne différait des sensations qu’ils dispensaient d’ordinaire. Et l’instinct d’amour le poussait à se maintenir contre ce corps, à enfoncer ses lèvres dans cette peau tendre afin d’étouffer ses gémissements. Deux bras mouillés de sa sueur l’enfermaient ; parfois, il soupirait de reconnaissance.
— Qui êtes-vous ?
— Ne cherchez pas à le savoir.
— Où sommes-nous ?
Soulevant ses paupières, il n’aperçut qu’une tache blafarde – un profil et une quenouillée de cheveux. Où était-il ? Sous sa paume battait un cœur aussi tourmenté que le sien. Il guérirait. Le mal s’effeuillait, revenait, brasillait, dur, flexible. Brouillard dans le lit défait. Il s’accrochait à ce corps qui le tirait de l’abîme. Le froid lui poignardait le ventre, les reins, et le mal ondoyait, l’agitant de démangeaisons ardentes, embrasant ses tempes et calcinant sa gorge. Vivre… Vivre pour assouvir sa vengeance. Quelle vengeance ?… Dans ses pensées illisibles, un seul nom miroitait : Gratot. Il devait se lever, marcher, étouffer l’incendie au-dedans de lui-même… Vivre… Vivre grâce à cette femme… Toujours ces martèlements sur son crâne. Déclore ses paupières de gisant. Ce corps inconnu contre le sien ; l’arôme de cette aisselle mousseuse où son nez plongeait…
— Serrez - vous contre moi.
Captif de deux bras doux et charnus, il glissa dans des obscurités traversées d’orages térébrants, sentit des seins durs contre sa poitrine, un ventre… Il frémit. Rêvait-il ? Cette femme, pourquoi l’avait-il impliquée dans sa mésaventure ? Elle lui offrait sa force, sa volonté. Il fut tout à coup certain qu’elle eût agi pareillement si son mal avait été contagieux. La peste. La lèpre… Il n’éprouvait pas le moindre scrupule à profiter de sa générosité. Fallait-il qu’elle l’aimât ! Et lui…
— Vous êtes bonne.
Leurs souffles accordés, puis désunis. Il passait du gelé au brûlant, de la terreur à l’espoir. Sa navrure envenimée ne le lancinait plus.
— Vous vivrez… Vous avez grand - mal… Il vous faut boire.
Soudain, personne… Le lit vide.
— Buvez.
Obéir. La gorge enflammée, l’eau bienfaisante.
— J’ai froid.
Il étreignit derechef cette femme dont les frissons s’ajoutaient aux siens. Sa main glissa sur son dos, sa cuisse et remonta jusqu’à son sein tandis que pour mieux le maintenir contre elle, elle serrait une de ses jambes entre ses cuisses.
Ils n’étaient plus unis, mais mêlés, mélangés. Il grelottait de fièvre et d’un désir informe aussi meurtrissant et inexpugnable que le poison qui corrompait son sang, tandis que les ténèbres mortelles continuaient de choir sur eux comme des plumes noires sous le vent.
— Je passerai la nuit… Le mal, grâce à vous… semble… refluer dans ma tête… Sans vous… qui m’êtes plus précieuse encore que…
Il se tut car une goutte venait de glisser sur sa joue, le chatouillant comme un brin d’herbe.
— Est-ce vous, Adelis ?… Il ne faut pas pleurer… Il faut… Ses yeux se fermèrent et il perdit conscience.
*
Le chant d’un coq et la sensation d’être coiffé d’un chaperon glacé tirèrent Ogier de sa torpeur. Il ouvrit les paupières. Adelis apposait sur son front un linge trempé dans du vinaigre.
— Souffrez-vous toujours, messire ?
Il regarda les bandes qui enveloppaient son coude :
— Je crois pouvoir supporter une courte chevauchée… Pourvu que ce mancheron de tissu ne colle pas trop à ma
Weitere Kostenlose Bücher