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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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À vrai dire, seuls les hommes du guet et les Navarrais – s’ils l’étaient – avaient vraiment remarqué sa présence.
    « J’ai agi par posnée [89]  : Dieu m’en punit. »
    C’était exaspérant, ce désenchantement, ce démenti à l’espérance.
    « J’aurais préféré qu’ils me huent, me salissent, me jettent des pierres, au besoin ! »
    En mâchonnant son dépit et sa déception, il ouvrait grands ses yeux sur son pays natal imprégné d’un brouillard d’irréalité, de fatalité dont lui seul sans doute avait conscience. Tout paraissait semblable et rien n’était pareil. La nature, elle aussi, avait souffert : ici, sur ce terrain, s’élevait jadis un grand orme qu’on appelait le Mousley ; il n’en subsistait plus que le tronc raccourci ; le long de cette levée de frênes bons à devenir lances et manches d’armes, une grange, bâtie naguère pour subsister cent ans, tombait en ruine. Et ce sentier, à gauche, conduisant chez Gerbold !… Livré aux ronces et fougères, il paraissait impénétrable. Le bienveillant ermite était-il trépassé ?
    Les sabots des chevaux crépitaient sur les pierres ; le mulet de bât renâclait. Ogier frissonna. Derrière, ses compagnons, muets, devaient l’observer. Jamais ils ne s’étaient montrés diserts, mais maintenant, ils devenaient par trop discrets. Redoutaient-ils aussi une désillusion ?
    Le chemin sinua, deux chaumières apparurent. Il les reconnut en regrettant de n’avoir gardé nulle souvenance des gens qui vivaient là. Puis son cœur battit furieusement et sa voix chevrota :
    — Nous y sommes presque…
    À droite commençait le chemin bordé de hêtres vénérables conduisant à la demeure des Argouges. On apercevait, parmi leurs troncs massifs, le miroitement ténébreux des douves. À gauche, un sentier montait vers l’église, extérieure au château, et noire sur le fond gris du ciel. Entre ce bâtiment et le lac ceinturant Gratot, se dressait une ferme : trois corps de logis se jouxtant sur la même ligne.
    « L’un abritait les veaux, les moutons, et dans son solier le surplus de fourrage ; l’autre contenait le pressoir, les tonneaux, et se complétait d’une maréchalerie. Enfin, dans celui du milieu vivaient Martin et Yvonnette Anquetil – les premiers serviteurs dont les noms me reviennent… »
    Tourné vers ces compagnons, Ogier affirma :
    — Ici, rien n’a bougé.
    Puis son cœur se serra, car tout avait changé. D’ailleurs Raymond, le doigt tendu, s’écriait :
    — La broussaille, messire !… Et les toits grands ouverts !
    Nul besoin qu’il fît grand jour pour voir que le lierre, les ronces et les mousses avaient donné l’assaut à l’étable, à la grange et à la maisonnette après qu’elles eurent subi les violences des flammes. La ferme des Anquetil n’était plus qu’une sorte de grand cercueil englouti dans les hautes vagues d’une tempête de feuilles.
    — Approche, Champartel… Je veux voir cela de près : aide-moi à descendre.
    — N’entrez pas, messire ! s’inquiéta Thierry tout en s’exécutant. La nuit est là et bientôt on n’y verra goutte.
    — Je connais bien ces lieux. Demeurez en selle. Je n’en ai que pour un moment.
    Foulant des touffes humides pour contourner le puits dont il effleura du gantelet la margelle, Ogier marcha vers le logis des domestiques. Il en franchit le seuil et s’immobilisa : non seulement progresser d’un pas, lesté de fer comme il l’était, eût été hasardé, mais ce qu’il découvrait le figeait de stupeur. Pans de murs éventrés, branlants peut-être ; corbeaux de granit ne soutenant plus que des panaches d’herbes ; moignons de bois suspendus dans le vide à la façon des gargouilles ; portes rompues, rongées, craquelées par le feu ; toiture béante dont cinq ou six chevrons pourrissaient : la maison se réduisait à ces décombres.
    — Cette couverture, dit Bressolles en s’approchant, s’est effondrée depuis longtemps.
    — Cinq ans, Girbert, lorsque mon père est revenu de l’Écluse ?
    — Il se peut. Les brasiers puis la pluie, le vent, la neige ont eu raison des charpentes. En tombant la toiture a broyé les planchers…
    — Comment tout a-t-il pu flamber ? Avec ce puits tout proche et dix ou vingt hommes formant la chaîne…
    — Certes, messire, intervint Champartel. Mais étaient-ils présents ? Et s’ils l’étaient et qu’on les ait empêchés de sauver ces

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