Les fleurs d'acier
tiendraient les curieux à distance. Et même s’il pouvait approcher le souverain ou son fils, l’un ou l’autre accorderait-il quelque crédit à ses révélations ? Non : parce qu’il était un Argouges !
Son père s’approcha, comprit sa confusion et lui tapota l’épaule. Penché au-dessus du blessé dont les forces, à présent, déclinaient, il voulut s’instruire encore sur cet événement dont il ne doutait point :
— Qui est donc l’appelant [176] de ce si grand tournoi ?
— André de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, vicomte de Brosse, époux…
Montfort s’interrompit volontairement.
— … époux d’Alix d’Harcourt.
— Harcourt !
— Eh oui, Ogier, elle est la sœur du traître… comme tu dis.
— J’aurais dû y penser, dit Godefroy d’Argouges… Je l’ai connue… Oui, quand vous avez dit Chauvigny, monseigneur, j’aurais dû y penser… C’est Jean IV, le frère de Godefroy… et le sien, évidemment, qui lui a offert un château à Chauvigny, à l’occasion de son mariage [177] …
Ogier se laissa choir sur le banc, près du rouet, dont après une hésitation, il tourna la roue cliquetante :
— Je commence à comprendre, Père. Chauvigny me semble bien, outre ce que vous dites, le meilleur des endroits pour réunir les conjurés de Bretagne, Normandie, Aquitaine : cette cité me paraît à égale distance de Vannes, Hennebont, Alençon et Bordeaux… Tout sera décidé chez cette Alix d’Harcourt… Pas vrai, messire ?
Le blessé ferma les yeux. Approbation ou lassitude ?
— J’irai à Chauvigny, décida Ogier.
Il ferait en sorte de surprendre et de contrarier les desseins de ce ramassis de félons. Après avoir désourdi leur complot, il dirait au roi : « Les Argouges sont purs, sire… En voici la preuve ! » Il n’aurait aucun mal à reconnaître Godefroy d’Harcourt : naguère, il avait fréquenté Gratot et, de plus, il boitait bas. Comprenant que Montfort n’en dirait pas davantage, il se leva :
— Les truands de Blainville vous voulaient mort ou vif. Pourquoi ?
Le blessé demeura les yeux clos :
— L’or, Ogier. Ce démon m’a réclamé le prix de ma délivrance. Il m’a également demandé de me faire accompagner par son Lerga et ses hommes jusqu’à Hennebont, où il sait qu’est mon trésor… Je lui ai reproché de se montrer trop glouton. Il a résolu de nous garder, mon compagnon et moi, jusqu’à ce que je scelle un parchemin lui reconnaissant une dette de mille deniers d’or !… J’ai refusé…
Montfort reprit haleine ; sa voix se flétrit et devint sibilante :
— Dans la nuit, voulant ouvrir la porte de notre chambre, je l’ai trouvée verrouillée du dehors… Le temps de déchirer et de tresser nos draps, c’était l’aube quand nous sommes passés par la fenêtre… L’écurie était proche… Vous connaissez la suite…
Sans la moindre commisération, Ogier observa :
— Messire, vous venez de lâcher vos alliés.
Des yeux clos, près du nez, deux gouttes se formèrent. La pomme d’Adam remua sous la barbe en friche révélant chez cet homme à demi vaincu une douleur qui n’avait rien de physique.
— Je n’ai plus d’alliés. Pour tout vous dire, à vous deux, Édouard fait passer mon épouse pour folle… Comme mon fils Jean n’a que six ans, c’est un bon moyen, si je meurs, de leur enlever tout pouvoir en Bretagne et laisser les mains libres à l’un des hommes les plus en faveur là - bas : le lieutenant général Northampton [178] .
— Puisqu’il en est ainsi, dit Godefroy d’Argouges, pourquoi êtes-vous revenu ? Mieux valait demeurer au-delà de la mer et veiller sur votre femme et votre fils !
— Et laisser la Bretagne à Édouard ?… Jamais !… Sitôt à Hennebont, je lèverai une armée bien bretonne. J’étais déjà revenu chez moi à la mi-juin dernière. Jamais je n’aurais dû en repartir, même pour revoir Jeanne et ma géniture !
Ogier croisa les bras et s’adossa à la muraille :
— Messire, dit-il en considérant le visage figé du blessé, nous avons un ennemi commun : Blainville. Le roi, vous le savez, ne jure que par lui… Il nous faut un acte de vous grâce auquel nous puissions dénoncer sa félonie… Un parchemin où vous apposerez votre seing et votre sceau… Une pièce formelle, que nul ne pourra accuser de fausseté, surtout pas notre suzerain !. À ce prix seulement vous obtiendrez notre aide.
Le Breton
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