Les fleurs d'acier
Il se méfiait de la tranquillité des champs et des boqueteaux. La prise de son épée luisait ainsi qu’une frange de son haubergeon de mailles, à l’encolure de son tabard : un vieux vêtement emprunté à Gosselin qui, pour fuir Madeleine, sa femme, eût bien voulu participer à l’aventure.
— Hâtons-nous, dit Raymond. Tout va tellement bien que j’en ai peur !
Ogier caressa les tièdes naseaux de Marcepin :
— Ménage-le… Il y a au moins soixante lieues.
— Ne vous inquiétez pas : je veillerai sur lui autant que sur le Breton. Il y a dans le chariot de l’eau, du vin et de la charpie…
— M’en veux-tu de t’avoir confié cette tâche ?
L’homme d’armes abaissa son regard puis, calmement, tout en grattant sa barbe :
— Messire, c’est un bon témoignage de confiance… Veillez bien sur tous, là-bas, et surtout sur Adelis.
Ogier offrit sa dextre et la sentit serrée dans une poigne vigoureuse :
— N’aie crainte. Garde-toi bien… et reviens-nous sans trop tarder.
— Partons promptement, dit Jean de Montfort.
Il était debout, soutenu par Courteille.
— Je vais le prendre en croupe, dit Thierry en s’adressant à Godefroy d’Argouges. Je ramènerai Lesaunier de la même façon…
S’éloignant de Courteille, coiffé d’un chaperon dont il avait supprimé les cornettes, Montfort vint s’immobiliser devant Ogier :
— Pense de moi ce que tu voudras. Un jour, du fond de ton cœur, tu conviendras que ma cause était bonne, mais sans doute ne serais-je plus de ce monde pour savourer la victoire de la vraie Bretagne sur celle des Blois et Penthièvre… Je ne sais aussi quand et comment tu dénonceras et affronteras Blainville, mais lorsque le moment en sera venu, souviens-toi de moi : je suis sûr que ton bras forcira !
Le comte se tourna vers Godefroy d’Argouges :
— Aide-moi, l’ami, à monter sur ce cheval.
Devançant son père, Ogier réunit ses mains en étrier.
Montfort se jucha d’un ahan sur Veillantif et prit Thierry à bras-le-corps.
— À Dieu, Godefroy… Aie confiance… Que le seigneur exauce tes vœux… Je suis sûr que tes lions retrouveront leur queue… Aie foi pour cela en ton fils. Son cœur est moins sec qu’il le laisse paraître !
— Sec ou pas, messire, dites-nous autre chose.
— Et que veux-tu savoir, Ogier ?
Le visage était d’ombre et les yeux scintillaient.
— Je veux savoir, messire, le nom de votre compagnon dont le corps repose à l’abri de nos murs.
Ogier s’attendait à un : « Que t’importe ! » Montfort eut un geste las :
— C’est vrai, je ne vous ai rien dit… Sachez qu’il s’appelait Yvon de Kergœt. C’est un de ceux que Charles a… outragés.
Il y eut un silence après lequel la voix du Breton devint acerbe :
— Ce damoiseau ne pouvait oublier cette violence et ne songeait, lui aussi, qu’à la vengeance… et son frère Jaquelin aussi… Yvon avait douze ans au début de la guerre.
Le silence à nouveau. Un merle le rompit d’un sifflement auquel un autre, lointain, répondit. Montfort ajouta :
— Jaquelin a veillé sur ma femme et mon fils, et ensuite sur Jeanne de Clisson.
— Qu’est-il devenu ? Est-il en Angleterre ?
Un soupir parvint aux oreilles d’Ogier :
— Je ne sais… Il m’a quitté après la trêve de Malestroit [183] qu’il me reprocha d’avoir acceptée… Il guerroie avec les Anglais. Northampton m’a dit qu’il s’était accointé à l’un de ses routiers et qu’il avait changé de nom pour être moins reconnaissable.
— Et quel nom porte-t-il, messire, présentement ?
— Je ne sais… Sans doute celui de quelque seigneur qu’il aura occis loyalement.
Imprévisiblement, le Breton se courrouça :
— Tu sais tout… Ne vous retarde pas davantage !
— Je n’en avais nullement l’intention.
Et sans un mot ni un regard de plus pour cet homme diminué dont il comprenait l’impatience et la hargne, Ogier siffla son chien et rejoignit son père.
— Pourvu, mon fils, qu’il atteigne Hennebont !
— Il l’atteindra. Son hardement [184] et sa fierté le soutiendront mieux que des remèdes… Allons, Saladin, en avant ! J’ai hâte, moi, d’être à Gratot !
Le château paraissait endormi sous la lune ; toutefois, en haut de la tour ouest, une lueur révélait une présence.
— Ce doit être Barbet, dit Ogier.
— Il s’est coiffé de fer… C’est le plus couard d’entre
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