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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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refusait de se compromettre. Auprès de Bagerant, impassible, un homme en chausses et pourpoint rouge vif, chaperonné de noir, considérait intensément ces deux nouveaux venus qui, bien qu’étant des prud’hommes, repoussaient une distinction.
    –  Qui est-ce, Hugh ?
    – Guardia Raimon, seigneur d’Aubeterre. Il fut chargé du recrutement 215 .
    Un silence : le temps que Bourbon vidât son hanap et s’essuyât la bouche.
    – Hâtons-nous, messires, dit-il. Nous voulons faire un bout de chemin !
    – II… il… nous faut… dé-décider de la fa-façon… de… de… nous a-arouter 216 , objecta le Bègue de Villaines.
    Si sa diction était incertaine, il avait conservé de tous ses combats, dans sa personne, quelque chose de vif, de hardi et de déterminé. Sa turbulence physique semblait s’assortir d’une joyeuseté foncière qu’il exprimait mieux avec des rires et des mouvements secs qu’avec des mots entrecoupés de silence.
    – Nous devons avancer arréement 217 , dit Bourbon.
    Il fallait bien qu’il exprimât sa volonté.
    – Une montre ? suggéra Antoine de Beaujeu.
    – Non, dit Calveley en omettant ostensiblement le messire. Nous ne sommes pas une armée mais quelques grosses meutes qui d’ordinaire s’entre-dévorent. Ne perdons pas notre temps dans cette sorte de bobant… Chaque commandant devra se faire craindre. Chaque manquement sera puni férocement : nous devenons, mes compères, des gens vaillants et honnêtes !
    – En Espagne, dit frère Béranger, nous chanterons chaque jour l’impropère 218 . J’y tiens !
    On ignorait ce qu’était l’impropère, mais on acquiesça. Satisfait, le moine se rassit sur l’escabelle qu’il occupait, près de la cheminée.
    On discuta et décida. On mettrait, autant que faire se pourrait, des cottes blanches afin de se distinguer de l’ennemi dans la presse. Nul besoin de se différencier selon que l’on serait Anglais, Français, Breton, Gascon, Basquais, Navarrais, Flamand, Allemand, Italien, Sarde, Gallois, Bohémond « et même plus », ajouta Guesclin. On marcherait toujours en armes, le camail sur la tête, la barbute ou le bassinet prêt à être coiffé, excepté les hommes d’avant-garde qui resteraient complètement adoubés, la lance écourtée au poing, disposés à combattre. Tout manquement aux règles serait puni 219 .
    – Pourrions-nous descendre en Avignon tout nus, dit Bagerant, que nul ne nous assaillirait. Je dis, moi qu’au niveau des chefs, chacun doit faire à sa conve nance… Je m’adouberai lorsque nous serons en vue d’Avignon, car je compte bien costier Guesclin lorsqu’il sera reçu par le Saint-Père. La vue de nos armures et de nos armes le rendra conciliant !
    – Je me passerai de toi, Naudon ! Tu ferais tout échouer. Cette affaire concerne Calveley, moi et quelques Fleurs de la Chevalerie. Moins nous serons nombreux et plus nous obtiendrons !… Je compte, moi aussi, inquiéter le Saint-Père. Voilà des semaines que j’y pense. Laisse-moi agir.
    – Soit, dit Bagerant. Je te jugerai sur tes résultats.
    Il y eut une rumeur de mécontentement. Cette courte joute verbale pouvait dégénérer en querelle. Guesclin parut y renoncer.
    On reprit donc la procédure. On emporterait dans le charroi des gerbes de sagettes et de carreaux dont il faudrait sans tarder accomplir la répartition. Il convenait aussi de partager équitablement les fers de lances, les chevêtres et les grappins, les marteaux, houettes, scies, bêches. On roberait, chez les fèvres et charpentiers des villages traversés de nombreuses boîtes de clous car on n’était pas certain d’en trouver en Espagne. Il faudrait aussi quelques fours de campagne, soufflets, enclumes pour ferrer les chevaux et réparer chiquet à chiquet les armures abîmées. Il allait donc falloir décider des meilleures mules et des mulets les moins rétifs pour les chariots les plus lourds. On marcherait quatre lieues avant de se reposer. Quatre lieues encore et on mangerait. On repartirait quatre lieues pour s’arrêter avant la vesprée. On resterait toujours proches les uns des autres car la dispersion nuirait à la surveillance des hommes : il se pouvait que, déjà, certains d’entre eux eussent envie de repartir sur les lieux de leurs anciennes prouesses. Si le mauvais temps survenait, on marcherait et dormirait comme on pourrait et si les torches venaient à manquer, on trouverait bien un village auquel on bouterait le feu

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