Les fontaines de sang
défendraient jusqu’au dernier. Des commandements s’entrecroisèrent :
– Préparez vos sagettes, vos carreaux !
– Déployez bannières !
Un homme fervêtu apparut aux remparts. Aussitôt Enrique et Tello galopèrent jusqu’à lui.
– Capitaine Senabria, je vous demande la cité !… vous la réclame comme vrai roi d’Espagne !
– Vous n’y pouvez entrer, Enrique. Le roi Pedro votre frère, que vous devriez aimer, nous l’a confiée-nous la devons défendre sous peine d’être écartelés.
Vous devriez savoir que c’est un roi que nous devons vous redouter !… Allez dans votre campement. Guerpissez tôt et incontinent. Vous n’avez aucun droit à un denier vaillant dans le royaume. Nous ne saurions vous obéir.
_ Pedro es une mierda ! Entendido ?
Guesclin rejoignit les deux frères.
– Holà ! Laisse-nous donc entrer (557) , compère. Entendido ? Porque yo.
– Cabrôn ! Porco de Francés ! Asesino 335 !
– Je me soucie peu de ce qu’il dit, Henri, grommela ; Breton.
Et de hurler si fort que le genet de Tello ébaucha une ruade :
– Holà, toi qui défends cette cité que j’amènerai à recréance 336 , livre-nous les Juifs et les Mahomets ! Par ma foi, si c’est non, vous en serez dolents. Nous ne partirons pas avant que nous vous ayons détruits avec vos femmes et vos enfants ! Juifs et Sarrasins n’y habiteront plus… Moi, Bertrand, vous apporte en ce pays leur mort et la vôtre si vous résistez !
Les trois hommes revinrent, les Espagnols à cheval, Bretons à pied clopinant sur des mottes. Ils furent mobilisés par un frère Béranger tout écumant de malerage :
– Point de merci ! Ce sont des impies ! Je bénirai ces occisions.
– Vous, de votre goupillon, dit Naudon de Bagerant qui s’était approché, moi de cette épée qui porte dans son pommeau une dent de sainte Eulalie.
Était-ce vrai ? Non, se dit Tristan, mais il vit à ce nom les hommes se signer.
À l’entour, des bûcherons abattaient des arbres et les taillaient par morceaux. D’autres, gantés de cuir, s’approvisionnaient en buissons. Quand il y en eut un monceau, un millier d’hommes les approchèrent des murailles d’où jaillirent plusieurs volées de sagettes. Des routiers tombèrent, morts ou blessés. On les laissa sur place.
– À quoi bon bouter le feu, dit Paindorge, armé de fer de haut en bas comme Lebaudy et les Lemosquet. Des échelades suffiront.
– Certes, dit Ogier d’Argouges, mais c’est par le feu que périront ceux qui, chez eux, chercheront un refuge. Les flammes qui embraseront ces murailles épouvanteront ceux qu’elles sont censées protéger.
– On n’a pas le droit, nous, gens de France…
– Guesclin, tu le sais bien, Paindorge, possède tous les pouvoirs. Voyez comment il commande à tous.
Malandrins des Compagnies, écuyers, bacheliers s’approchaient aussi près que possible des murs pour jeter, dans le maigre fossé qui les contournait, des bûches et des branches, des buissons, des bancs, des ridelles de charrette, cependant que des archers tiraient dru vers le crénelage pour empêcher les défenseurs de lâcher leurs traits et grever ceux qui penchaient leur tête hors d’un merlon. À cent pas, les batailles étaient dis posées selon les commandements du Breton, prêtes à s’élancer vers les portes. Soudain, en couinant, un grand huis clouté de fer s’ouvrit. On vit paraître, armé de toutes pièces, un héraut et dix jeunes écuyers portant de pannetons emplis de cruchons et de bouteilles. D’un pas résolu, ils marchèrent vers Guesclin et les capitaines ahuris.
– Messires, dit le héraut, l’alcalde de Briviesca vous fait présent des meilleurs vins d’Espagne et vous regracie de la peine que vous vous êtes donnée pour lui faire visite.
La stupeur passée, Guesclin s’inclina :
– J’accepte ce don d’un vrai prud’homme (puis, la voix forte et rudoyante) mais dites-lui ainsi qu’à messire Senabria que je leur donne ma parole d’assaillir leur cité erraument (558) que leur défense me fera honneur sans pour autant m’empêcher de réduire cette putain en cendres !
La délégation s’éloigna, cette fois en pressant le pas. Guesclin prit un cruchon, entonna le vin et brisa le récipient vide sous son talon. Tous les familiers de son comiticule prirent qui un cruchon qui une bouteille qu’ils vidèrent sans souffler. Tristan refusa ce vin de mort. Son beau-père y trempa
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