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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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planait, peuplant les imaginations de scènes mouvementées. Crainte, mais aussi, parfois, désespérade. La tuerie de Cocherel était loin pour Tristan. Toute sa vie se résumait dans l’immense intérêt qu’il portait depuis l’aube à l’absente, dans les gros battements de son cœur, dans le poids de ses chairs chargées de fer et l’espèce d’aveulissement de ses muscles prêts à se mouvoir violemment jusqu’à la complète extinction du feu qui brûlait son sang.
    À quoi bon paroler : chacun connaissait sa leçon. L’air était déjà chaud, immobile, et la lumière argentée rendait plus glauque la verdure des arbres et des broussailles opulentes dont les branchettes égouttaient encore l’humidité de la nuit. Un furet apparut et guerpit, animant à lui seul l’épaisseur dormante et ombreuse du petit bois que surmontait la forteresse toujours austère et silencieuse.
    – Compères, nous y sommes.
    Tristan se retourna et sourit, cette fois. Il n’aurait rien à expliquer. Tout irait bien. Sur sa nuque coiffée d’une épaisse calette il sentait le fer de son bassinet pareil à une paume sèche et bienfaisante. L’ayant avec plaisir - recouvrée, il avait tenu à endosser son armure. Outre qu’il s’y mouvait à l’aise, elle n’avait pas encore été fourbie – volontairement – par Matthieu et Paindorge, de sorte que de nombreuses souillures tachetaient son plastron, ses cubitières et ses jambières : il avait vraiment l’air d’un survivant.
    – Combien d’hommes ? demanda Thierry à voix basse.
    – Si seulement nous le savions !
    La victoire était possible. La stupeur, la consternation, la vie, la mort, le deuil.
    Tristan cracha une gorgée de fiel. Son regard aussi lent et prudent que celui de Malaquin monta vers la bastille inconnue non plus avec suspicion, non plus avec dédain mais avec une certitude : ils allaient la conquérir et la destouiller 57 de ses occupants !
    *
    Un guète armé d’une guisarme veillait devant le seuil défendu par une porte à deux battants renforcés de pen tures grossières. Une bâche 58 aussi épaisse qu’un timon de charrette dépassait d’un vantail entrouvert.
    – Holà ! Vous autres… Qui êtes-vous ?
    L’homme était coiffé du chapel de Montauban, vêtu d’un haubergeon de grosses mailles, et tout en s’en approchant, Tristan se demanda si sa Floberge percerait aisément ces anneaux à grain d’orge dont il apercevait le rivetage.
    – Après nous, compagnon, il n’y a plus personne. Depuis Cocherel, nous avons travelé 59 jour et nuit… As-tu ouï parler de cette bataille ?
    – Oui, par un compère qui vient juste d’arriver.
    « Ouf ! » soupira Tristan dont le cœur s’était affolé. « Il était temps que nous venions. » Il lut dans le regard pointé sur lui autant de pitié que de mépris. « Je suis un vaincu. Nous sommes des vaincus. » Enfin, l’huissier baissa la tête ; ses yeux disparurent dans l’ombre de sa coiffe de fer tandis qu’il exprimait son ébahissement.
    –  Après le gars qui est entré avant vous, on n’espérait plus personne. J’allais clore ces huis… On s’apprête à partir pour Cherbourg.
    – C’est le captal de Buch qui, avant la bataille, nous a conseillé de vous rejoindre. Le temps de soigner nos navrés, de boire un coup et nous serons des vôtres, si ça vous va.
    Le guisarmier considéra l’armure de celui qui, pour lui, ne pouvait être qu’un capitaine. Il en vit les macules brunâtres. Son regard tomba sur la main blessée de Thierry, le bras bandé de Matthieu et remonta jusqu’à la bannière qu’un souffle bienvenu déployait.
    – Alors quoi ? dit Tiercelet. La reconnais-tu ? Mon compain et moi l’avons portée à la bataille. On l’a sauvée. On en est contents.
    Il usait d’un argument délusoire. Voyant qu’il semblait sans effet sur le guetteur, Tristan s’ébaudit :
    – On dirait que tu ne la reconnais pas. Es-tu Normand, Gascon ou Navarrais 60  ?
    – Ça va ! dit l’huissier. Si je connais cette bannière, vous, je vous connais pas.
    – Qui sont ces matineux, Le Crosnier ? dit un homme en s’insinuant entre les vantaux.
    « Un chef », songea Tristan. « Peut-être Argouges et Champartel le connaissent-ils. » Le vougier prit une voix piteuse :
    – Ils ont la bannière de Navarre et se prétendent des nôtres. Moi, je les ai jamais vus.
    « C’est bien là où le bât nous blesse », enragea Tristan.

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