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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Gratot.
    – Cette porte est verrouillée. Votre fille et Guillemette sont certainement encarcérées là.
    – Sans doute, dit Thierry. Nous ouvrirons cet huis.
    Les archers s’étaient approchés. Après qu’il eut confié sa bannière à Thierry, Matthieu quitta sa selle et Paindorge en fit autant.
    –  Par ici, dit un flandrin moustachu.
    Il était torse nu. Cela gêna Tristan : l’occire serait trop aisé. L’autre, petit et gras, au visage cloqué d’apostumes, avait sous son aumusse aussi dure et grise qu’une pierre d’évier, l’aspect d’un frère frappait 67 .
    « Deux par deux », songea Tristan. « On les a appariés pour qu’ils s’entraident ou se surveillent l’un l’autre. Il doit y avoir deux hommes derrière la porte des prisonnières. »
    Il entendit soudain, débordant d’une fenêtre, des cris de femmes malmenées et qui se regimbaient contre des-injures et des coups.
    – Qui sont-elles ?
    De ses yeux pâles et globuleux, le boutonneux dévisagea Paindorge. Un sourire mit dans sa bouche une brillance pareille à celle d’un couteau :
    – Des femmes qu’on a robées pour s’en servir plus tard… quand Herbault les aura connues.
    – Combien ? demanda Thierry en accotant la bannière contre un des chambranles de l’écurie où Matthieu la laissa.
    Nouveau sourire. Aucune défiance. Tristan se dit que le nez busqué de cet homme semblait soutenir son petit front comme un contrefort étayait une voûte.
    – Six femmes. Et belles !
    Le moustachu souriait, lui aussi, tout en grattant son torse barbouillé de poils noirs et pailleté de fétus :
    – On aurait voulu pouvoir les enconner, mais Herbault n’y a même pas mis un doigt. Il se les réserve pour plus tard, à Tyrebourch 68 quand il aura retrouvé sa chambre.
    Tristan l’eût embrassé pour cette précision.
    Les deux hommes, à présent, marchaient dans l’écurie. Sans doute ruminaient-ils leur déception de n’avoir pu toucher aux captives. Le regard de Thierry signifiait : « On les tue ? » et celui de Matthieu, tout proche : « Maintenant ? » Une sorte d’ivresse illuminait ces deux paires d’yeux d’ordinaire si pleins de bénignité. Oui : il fallait occire ces hommes. C’était une opportunité si aisée que Tristan se tourna vers Tiercelet pour obtenir son avis – ou son consentement. Quand il cessa de regarder le brèche-dent, les Navarrais gisaient morts dans la rigole où stagnait le pissat des chevaux.
    – Les deux autres, à présent, dit Matthieu.
    Il chuchotait, sans remuer la tête, une lueur trouble dans ses prunelles.
    – Tu y prends goût, compère, dit Tiercelet.
    Il poussa les corps contre un mur, à l’ombre, afin de les rendre invisibles à quiconque entrerait, d’autant qu’après la franche lumière du dehors, l’écurie paraissait enténébrée. Il fallait continuer. À la place de Matthieu, un chevalier quel qu’il fût aurait pris un air dégoûté par ces meurtres d’une extrême simplicité, or, le visage du garçon resplendissait.
    – Holà ! cria Paindorge. Holà ! Les palefreniers… Il y a céans un cheval malade. Il a de la saburre 69 plein la bouche.
    Ils entrèrent lentement, de front, cillant pour y mieux voir dans l’ombre qui augmentait à mesure de leur avancée.
    – Lequel ? demanda le plus âgé des deux, un petit gros à face de lune et aux mains larges, velues, de toucheur de bestiaux.
    – Là, dit Thierry.
    Il désignait dans sa parclose, une haquenée blanche occupée à ronger le bois de sa crèche.
    « Hermine », se dit Tristan, « la monture de Luciane. »
    –  Un cheval qu’a pas d’bourses ! grommela le petit replet. Une femelle !… D’où qu’ils sortent, ces gens-là, Joseph ?
    Les deux hommes s’approchèrent. Un remuement violent auquel se mêla le hennissement de la jument effrayée emplit soudain l’écurie. Puis ce fut le silence troublé du seul bourdonnement d’une mouche.
    Les palefreniers gisaient sur la paille, égorgés par Thierry et Matthieu qui essuyait sa lame sur la cuisse du Joseph dont la face ombreuse exprimait encore un soupçon d’ébahissement.
    – Hé ! Messire… Ben quoi ? Vous en faites une tête !
    Tristan demeurait immobile, hébété, sans comprendre ce à quoi il s’était pourtant attendu : cette vélocité dans l’occision de deux autres hommes et la joie de Matthieu qui, prompt et terrible, avait saigné le Joseph. C’était décidément si simple et

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