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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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que son bras lui serrait la taille.
    – Le temps est un hypocrite, m’amie. Sa beauté peut-être mensongère. Comment pourrait-on s’y fier ? Les cieux les plus cléments fomentent des orages…
    Tristan n’osa rien ajouter. C’était lors des trêves convenues et ratifiées de grand cœur que se préparaient les batailles. Les chaudes clartés de l’été et les primes rougeurs des feuilles n’allaient-elles pas se confondre bientôt avec les lueurs des armes et le vermillon des plaies ?
    *
    Le jeudi 5 septembre, au retour de Coutances où il s’était rendu en compagnie d’Ermeline, Thierry rapporta quelques nouvelles qui, à Gratot, rendirent soucieux les hommes :
    –  Il y a, paraît-il, de gros mouvements de gens d’armes. Désobéissant au roi, Guesclin a quitté Paris pour mettre son épée au service des Blois. Sire Charles sent que la guerre va renaître en Bretagne (482) . Il voudrait l’éviter mais il devine que ce sera impossible. Qu’en penses-tu ?
    – Nous ne sommes pas concernés, dit Ogier d’Argouges. Nul messager n’est venu nous dire de nous apprêter. Laissons les Bretons et les Anglais se meshaigner entre eux, mais craignons que cette guerre, si elle reprend, n’en allume d’autres.
    – En quels lieux ? demanda Paindorge.
    – Nul ne le sait.
    – Dans mon pays, peut-être, supposa Tristan.
    Tout ce qu’il savait de la Langue d’Oc, c’était que les routiers l’écumaient toujours. Luciane lui prit la main :
    – Si quelque chevaucheur survenait maintenant pour t’aviser que ton père et ton demi-frère sont en mortel danger… que ferais-tu ?
    Sa voix n’était que pondération et douceur. Devait-il s’en montrer surpris ? Devait-il également s’étonner qu’elle lui eût posé cette question ? Elle était belle, dans l’attente ; éloquente dans son silence.
    – J’irais.
    Il vit son épouse frémir. Ce n’était point un mouvement de déception. Au contraire : en répondant ainsi, il la satisfaisait.
    – Je vous accompagnerais, toi et Paindorge. Et je viendrais pareillement si tu devais te passer de ton écuyer.
    Restait à savoir, en l’occurrence, à quelle instigation elle eût obéi. L’attachement fol et imprudent, conséquence d’un amour extraordinaire ? La véritable vocation d’épouse ou le désir d’exercer sur lui une surveillance assidue ? Elle avait dit : «  Ton père et ton demi-frère  », or, il n’était pas dupe d’une omission : si elle s’était gardée d’inclure Aliénor dans sa demande, c’était qu’elle y avait songé autant sinon davantage qu’aux deux autres. Bien que ce qu’elle en savait se réduisît à ce seul nom, il semblait parfois qu’elle fût jalouse de cette étrangère. Le ton qu’il employait pour la citer ne laissait pourtant aucun doute sur le mépris qu’il lui vouait. C’était certainement ce dédain plus éloquent qu’il ne l’imaginait qui avait dilaté la curiosité, voire la suspicion de Luciane.
    – Tu ne pourrais accomplir une telle chevauchée sans dommage, dit-il avec une fausse douceur. Tu le sais : tous les chemins sont aventurés. Chaque obstacle, chaque difficulté, chaque péril même, le serait à ton détriment.
    – Je suis bien décidée à te suivre partout.
    Derechef, Tristan renonça à élucider les raisons qui poussaient son épouse à se vouloir toujours en sa contiguïté. Plus les propos de Luciane devenaient sobres et têtus, plus ils accroissaient sa gêne. S’il s’était comme adapté au sort de la jeune femme, il entrait rarement de plain-pied dans son univers. D’où la nostalgie qu’il éprouvait lorsqu’elle citait Castelreng ou prononçait à son propos quelque allusion sans meschéance 123 . Ce n’était pas le fait qu’une guerre fût en suspens pour que rien, entre eux, ne lui parût définitif ; c’était parce qu’il aimait son pays de Langue d’Oc autant qu’elle aimait sa Normandie. Certes, elle n’abandonnait pas l’espoir de le convertir à Gratot. Certes, elle voulait qu’il échappât aux prochaines tueries afin qu’il appartînt à un monde différent du vrai, sans influence néfaste sur leur esprit, leur avenir et leur cœur. C’était là de l’enfantillage.
    – Il nous faudrait tout oublier, dit-elle.
    – Nous nous y efforcerons.
    Comme le soleil dissipe des nuages lourds de menaces, les derniers mots qu’ils venaient d’échanger emportèrent avec eux la mélancolie d’une fin de jour

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