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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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morose. Leurs fronts rayonnants se touchèrent avant leurs lèvres. Quelque bref qu’il eût été, leur baiser avait un goût de sang.

II
     
     
     
    Gratot en fut informé le jeudi 3 octobre : une épouvantable bataille avait été livrée à Auray. La victoire revenait à Jean de Montfort. Non seulement, les partisans de Charles de Blois avaient été taillés en pièces, mais le prétendant au duché de Bretagne était mort. Son plus fidèle soutien, Bertrand Guesclin, avait été fait prisonnier (483) . Pendant une trêve de trois jours, chacun avait pu reconnaître ses morts. La garnison d’Auray serait épargnée.
    – Le jeune Montfort fait preuve de mansuétude, dit Ogier d’Argouges qui, de Coutances, rapportait la nouvelle. Thierry et moi connaissions assez bien son père : Jean III.
    – Cet homme-là était plein de grandeur d’âme, approuva Champartel. Puisse son fils lui ressembler !
    –  On dit que Bertrand va être emmené à Niort.
    – Je ne me soucie point de lui, Ogier. Le roi, qu’il a su embobeliner, pourvoira à sa rançon et quand il sera libre, il oubliera cette déconfiture.
    – Et le trépas de Charles de Blois ? Il ne vous afflige point ?
    Le seigneur de Gratot se tourna vers son gendre :
    – J’ai ouï les sanglots de cet homme sur l’Édouarde, la nef qui m’emmenait en Angleterre après qu’il eut été vaincu à la Roche-Derrien. On eût dit les pleurs d’une femme en gésine.
    Il n’était pas seul, Ogier d’Argouges, à oser sur les mœurs du défunt prétendant au duché de Bretagne une allusion dont le dédain annihilait toute compassion (484) . Béatrix d’Orbec et Marie de Giverville s’entre-regardèrent. Plaignaient-elles le trépassé d’avoir été plus enclin à aimer ses pareils que les dames ?
    –  Que va-t-il advenir de la Bretagne ? s’informa doucement Adèle de Champsecret.
    Elle aidait Guillemette à disposer les couverts sur la table. Elle procédait nonchalamment comme si la tiédeur et la mélancolie du soir avaient amolli sa coutumière vivacité. Ogier d’Argouges la dévisagea longtemps, cherchant peut-être à comparer ses traits aimables à ceux plus avantageux d’une autre qui, sans doute, l’avait fait souffrir.
    – M’amie, dit-il, la Bretagne n’est pas encore en paix et si j’ose dire, la guerre se rapproche. Jamais les Goddons ne relâcheront leur étreinte. Sachez-le : ils veulent la Normandie, la Bretagne, la France… tout… et sont assez forts pour les obtenir.
    Il fut le seul à sourire, et Luciane parut courroucée du ton sentencieux qu’il avait employé.
    – On dirait, par ma foi, que la guerre te manque.
    – La guerre, non, mais fréquemment la Chevalerie. L’amitié dans la Chevalerie. Certes, elle est rare, mais elle existe. Pas vrai, Thierry ?
    – La Chevalerie conduit à la mort, dit Ermeline.
    Elle l’avait vue de près, cette mort, lorsque son mari avait péri sous les couteaux des Navarrais avant qu’elle ne devînt leur otage. Pour le moment, elle ne se sentait pas concernée. Que des batailles fussent cruelles aux autres, soit. N’avait-elle pas acquitté son tribut à l’horreur et à la male chance ? Contrairement à Luciane, les sombres conjectures de ses voisins et voisines ne lui inspiraient aucun effroi. L’angoisse qui saisissait – différemment – Adèle, Guillemette et leurs deux anciennes compagnes de captivité ne l’emmaladissait pas. Le malheur l’avait dotée d’une sorte d’immunité. Pourtant, elle venait d’avoir un enfant, un Amaury qu’il lui faudrait protéger de toutes sortes d’atteintes. À Mantes, les Bretons de Guesclin avaient cloué à l’épée des nouveau-nés dans leur lit.
    – Il se peut que le trépas de Charles de Blois apporte la paix chez nos voisins, dit Ogier d’Argouges (485) . En vérité, je n’y crois pas mais le souhaite.
    –  Ne pourrions-nous cesser de délibérer ainsi ? suggéra Thierry que l’impassibilité d’Ermeline déconcertait.
    Il tenait à la vie, lui. Parce qu’il avait vu la mort cent fois, parce qu’il avait ouï les cris désespérés et désespérants des navrés condamnés à disparaître, parce qu’il ne cessait d’être hanté par les sanglants travaux d’une Chevalerie qu’un orgueil éhonté conduisait à sa perte. Dépouillé de son armure, il voulait exister dans les besognes de la vie quotidienne et dans l’amour. Bien qu’elle vînt de le décevoir, il ne faisait pas si bon

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