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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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des soulas 119 inutilement meurtriers. Par le simple usage des joutes, les Goddons ont préservé leur chevalerie et leur écuyerie. J’ajoute que leurs guerres contre les Escots les ont tenus en haleine. Édouard III a disposé…
    – D’une armée de métier, si j’ose dire, fit Paindorge, heureux et inquiet de fournir son avis.
    Argouges le remercia d’un sourire.
    – Peut-être faudrait-il revenir aux armées de Philippe Auguste, dit Adèle de Champsecret. Feu mon époux n’en démordait pas.
    – Par ma foi, dame, il avait raison ! fit Tristan. Les détenteurs de fiefs sont encore de nos jours tenus au service de l’ost, mais les milices de l’arrière-ban, qui piétaient sous les bannières de leur paroisse et qui s’étaient si bellement conduites à Bouvines, n’existent plus. Les cités entretiennent trop souvent des mercenaires plus épris de leur solde que de batailles, redoutables et redoutés dans les contrées qu’ils sont chargés de protéger contre des ennemis à leur semblance… Et puis quoi ? Le service de l’ost ne dure que quarante jours : comment, en si peu de temps, former des compagnies solides et non pas ces cohues que nous connaissons tous ?
    –  Et si ce n’était que cela, reprit Ogier d’Argouges. L’hôtel du roi, en campagne, dispose du droit de prise pour assurer la subsistance de tous les guerriers. C’est une réquisition absolue, sans indemnité : un pillage sans conséquence pour les robeurs. Sur les chemins qui menaient à Crécy, j’ai vu des chevaliers piller des fermes et des maisonnettes avec une satisfaction que n’eussent pas éprouvée les routiers qui infestent notre royaume.
    Il s’était enflammé. Tristan vit la main d’Adèle se lever pour saisir la dextre du seigneur de Gratot dans l’intention d’apaiser son courroux, puis renoncer. Luciane avait aussi surpris ce mouvement. Elle cligna de l’œil sans malice en direction de son époux.
    – Je n’ai jamais été ébahi, dit Thierry, par les appertises 120 d’armes auxquelles prétendaient, autour de moi, tant de chevaliers. Leur audace et leur sot mépris de la mort m’ont toujours fait l’effet d’inutiles vertus.
    – Après l’Écluse, dit Ogier d’Argouges, j’ai appris que certains équipages anglais étaient bretons et les capitaines génois. L’Angleterre n’avait pas encore une flotte digne de ce nom. Pourtant, elle nous a vaincus 121 . À Crécy nous étions cinq ou six fois plus nombreux que les Anglais. Il fallait attendre l’arrivée des communes, cerner la montagnette, prendre les Goddons à revers.
    Nos foudres de guerre ont failli à leur devoir en ne voulant pas faillir à l’honneur.
    – Il en fut ainsi à Poitiers, dit Tristan. Arnoul d’Audrehem s’est moqué de Jean de Clermont qui proposait de surseoir quelque temps à la bataille 122 . Audrehem est vivant, Clermont est mort… et si le dauphin s’est enfui, c’était pour préserver la lignée des Valois !
    On rit. Tristan seul resta sur une réserve qui déconcerta Luciane. Béatrix d’Orbec se permit un jugement :
    – Triste lignée, dit-elle, morose. Elle n’aura rien valu de bon à la France et à la Normandie.
    – Puis ce furent, dit Marie de Giverville, les funèbres prédictions de Jean de la Rochetaillade, ce clerc qui avait lu notre destruction dans l’Apocalypse.
    – Souvenez-vous qu’Innocent VI l’a fait incarcérer. Il avait prédit que de 56 à 59 tout irait de mal en pis. Il a eu raison, hélas ! Les Jacques, Étienne Marcel, Charles de Navarre ont meurtri le pays tout autant sinon davantage que le roi d’Angleterre et ses hommes d’armes.
    Béatrix d’Orbec retomba dans sa mélancolie. Paindorge parut sur le point de lui adresser quelques mots. Il y renonça.
    –  Notre monnaie se meurt… si elle n’est morte, dit-il enfin (477) .
    – Le royaume se meurt par la famine et la guerre. Oh ! certes, ajouta Ogier d’Argouges, nous sommes bien aises à Gratot, ce qui ne fut pas toujours le cas. Il n’empêche qu’après la peste, la guerre tue, tue encore et toujours (478) .
    – C’est vrai : nous sommes heureux à Gratot, approuva Adèle de Champsecret en regardant le père de Luciane droit dans les yeux.
    Le chevalier baissa les siens. Sans doute, en l’absence de sa fille, eût-il résisté à cette décence qui fit sourire les autres dames.
    – Buvons, dit Thierry, à tout ce qui nous assemble : le beau temps, l’amour et l’amitié. Bien

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