Les fontaines de sang
pouillèrent d’un reste de verdure. Leurs feuilles mêlées jonchèrent la terre et la douve, formant à la sur face de l’eau une sorte de grande cotte d’écaillés rouillées que les canards lacéraient de leurs palmes. On abattit des arbres et trancha leurs branches que l’on entassa dans la cour, devant les communs, en prévision d’un hiver aussi rigoureux que le précédent. On alla quérir à Saint-Malo-de-la-Lande quelques charretées de foin et de paille et deux tombereaux de brelée (489) .
La neige apparut dès la mi-novembre. Si peu qu’elle eût tombé, elle subsista ; le gel l’incrusta dans l’herbe et sur les pierres.
– Neige qui reste en attend d’autre.
La sentence d’Ogier d’Argouges se vérifia le dimanche 24. Après qu’elle eut tombé tout un après-midi, la couche de poudre blanche atteignit l’épaisseur d’un pouce. Derechef la froidure la verglaça. En versant dessus des bassinées d’eau chaude, on traça dans la cour des chemins que l’on joncha de cendre afin d’éviter les chutes.
Le vent qui met au froid des aiguillons pervers soufflait à peine. Au-dedans comme au-dehors, les hommes ne cessèrent de s’activer dans des travaux divers sans pour autant négliger leur préparation guerrière. Des épreuves d’archerie eurent lieu le matin ainsi que des behourds 126 et des exercices à l’épée, à l’épieu et à la hache. Les soudoyers se montrèrent égaux en force et en habileté sauf à l’arc où Quesnel les supplantait. Comme il semblait, un jour, juger les vaincus du haut de son triomphe – même Thierry, Paindorge et Tiercelet qui avaient voulu participer à ce déduit 127 -, Ogier d’Argouges courut à son armerie pour en revenir avec un arc empoussiéré, un carquois et un sachet contenant deux cordes finement tressées. Il en fixa une à son arme après avoir vérifié la flexibilité de l’if qu’il ne nettoya pas comme s’il tenait à ce que son bien conservât l’apparence d’une vieille chose.
– Empoignez-le, Tristan. À vous la priorité !
C’était un honneur insigne. Tristan l’accepta comme une preuve supplémentaire de l’affection que son beau-père lui portait.
– Je vais vous décevoir. L’archerie n’est pas mon fait… C’est un long-bow, pas vrai ?… Je vais tenter de m’en servir de la même façon qu’un huron auquel vous auriez offert un glaive.
L’arc, aussi haut que lui, était souple et léger. Le bersault 128 , une porte de bois cani exhumée d’une cave et sur laquelle figuraient, tracés à la craie, quatre cercles concentriques, était distant de vingt toises. Après l’avoir défié du regard, Tristan, soigneusement, encocha la sagette qu’on lui tendait, bornoya, tira lentement sur la corde plus docile qu’il ne l’avait cru.
La flèche empennée de plumes grises vola, prompte et puissante, et se ficha, en vibrant, dans le petit rond central.
– Hé ! Hé ! Mon gendre… À deux doigts de la mouche… Et vous vous prétendez mauvais ?
Ogier d’Argouges planta quatre sagettes à ses pieds. Il en encocha une, tira ; une autre, tira ; une autre encore et prit son temps pour la dernière. Elle se planta au milieu du cercle noir non sans avoir ébouriffé les empennes de ses voisines. Un silence suivit ces quatre tirs au but.
– Eh bien, Quesnel, qu’en dis-tu ?
Ébahi, l’archer lâcha son arme et leva les bras :
– Messire, je me sens petit auprès de vous. D’où tenez-vous cette aisance ? Ce sont là, par ma foi, quatre coups merveilleux.
– Un Goddon m’a appris à me servir d’un arc. Je l’ai connu au temps de mon otagerie… On l’appelait Aster, mais son nom vrai, c’était Shirton… Je croyais avoir oublié ses leçons. Je m’aperçois qu’elles sont entrées définitivement dans ma chair et mon œil.
Le soir, on ne parla que de cette appertise 129 . Il fallut qu’Ogier racontât comment il avait vécu plus d’un an dans la Grande île – ce que Luciane, Thierry, Tristan et sans doute Adèle de Champsecret connaissaient par le menu. Le lendemain, Quesnel se montra plus modeste dans sa réussite. Ses compères, Yvain et Jean Lemosquet et son rival le plus redoutable, Lebaudy, le congratulèrent – ce qu’ils n’avaient jamais fait jusque-là.
– Ce qu’il a perdu de sa superbe, commenta en souriant Ogier d’Argouges, il le gagne à présent en admiration.
Ce fut un hiver blanc, âpre, accablant, morose. Il fallait à pied chercher du
Weitere Kostenlose Bücher