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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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arbres et ronceraies. L’eau de la douve se couvrit d’une croûte épaisse tandis que de robustes bourrelets de neige s’agglutinaient jusque sous les voûtes des portes piétonne et charretière où la bourrasque les avait poussés. Tout devint silence et mélancolie. Sans trêve, les cheminées ronflèrent. Et le ciel demeura immuablement sombre.
    – Le même temps qu’à Rolleboise, commentait parfois Paindorge.
    Dans l’écurie close, les chevaux trouvaient le temps long. Dans l’étable, la vache meuglait de loin en loin et les quelques brebis bêlaient parmi la volaille répandue autour d’elles. Qui sortait pour puiser de l’eau ou soigner ces animaux revenait les yeux en pleurs, les gifles 137 et le nez rouges, les lèvres gercées par la bise.
    Puis le soleil réapparut sans pouvoir vaincre la froidure. On sacrifia deux moutons, des oies et des gélines 138 car il était impossible de se fournir en nourriture. Enfin, la neige se mit à fondre. Les grésillins 139 des toits tombèrent et les blancheurs s’évanouirent. Tout devint gris, spongieux. La cour fut un cloaque si profond que les chevaux n’y furent point amenés : ils s’y fussent enfoncés jusqu’aux genoux.
    Le jeudi 26, au commencement de l’après-midi, un vieux clerc vêtu d’un manteau de mouton, les jambes à l’abri dans des heuses crottées, se présenta devant le pont-levis entrouvert et hurla qu’on lui ouvrît.
    – Est-il seul ? demanda Ogier d’Argouges à Quesnel qui, par une archère de la chambre des gardes, observait le presbytérien.
    – Il n’y a pas un homme à cent toises derrière.
    – De faux moines sont entrés jadis dans ces murs. Ils y ont commis des abominations. Je leur ai échappé. Ma vengeance a été à la mesure de leurs forfaits… Abaisse le pont et remonte-le promptement quand ce religieux sera entré.
    Recrobillé par l’âge et par le froid, le vieillard franchit le seuil de la porte piétonne. Il jeta son bissac vide et planta son bourdon dans la boue. On l’entendit pousser le soupir bref et rauque du pèlerin qui atteint son but et sent déjà le chaud où il s’alanguira. Tristan, qui l’observait, remarqua dans son allure quelque chose de trouble. Vacillait-il de fatigue ou d’émoi ? Le moine lui sourit ainsi qu’à Quesnel qui se portait à sa rencontre :
    – Pouvez-vous m’accueillir en ces murs, bonnes gens ?
    Il posait la question par principe, non par nécessité. Il restait immobile sur le seuil ténébreux de l’entrée cependant que d’un coup d’œil prompt, apparemment distrait mais pénétrant, il semblait chercher sur les physionomies qui peu à peu s’offraient à sa curiosité des traits ou des stigmates qu’il n’y découvrait pas.
    –  Mon père, dit Tristan, c’est de grand cœur que nous vous accueillons. Remontez le pont, vous autres !… Allons, les Lemosquet, hâtez-vous !
    Les deux frères disparurent. Les courants d’air glacé se raréfièrent. Le moine fit un pas et, tout entière, la cour enneigée çà et là s’offrit à ses regards. Lorsqu’il fut en son milieu, il retroussa son manteau, son capuce et sa roque trop grande, s’age nouilla et baisa un lambeau de farine grisâtre sur lequel des empreintes de pas formaient de sombres macules.
    – Holà ! Mon père, s’écria Quesnel ébahi, ce n’est point Jérusalem.
    Le moine se signa sans se relever :
    – Tu ne peux imaginer, mon fils, comme il est bon d’atteindre la Terre promise.
    Ogier d’Argouges apparut. Il considéra, débordant de la cuculle élimée, le profil de ce patriarche, toujours à genoux, et qui joignait ses mains rouges de froid et d’engelures. Tristan perçut la sensation d’ébahissement et de malaise qui s’emparait de son beau-père tandis qu’il distinguait, sous la peau couperosée, piquetée d’une barbe grise en jachère, un visage oublié. Alors, tout en se levant péniblement, le moine se découvrit. Sous une frange de cheveux blancs et rares, une face ronde, blette et tavelée apparut. Le visiteur piéta vers le maître de Gratot et ouvrit largement les bras dans l’espérance d’une accolade dont il fut privé.
    – Me reconnais-tu ?
    Un « oui » spontané satisfit le clerc qui semblait, tant il paraissait démuni, appartenir à un ordre mendiant.
    – Frère Isambert, ajouta Ogier d’Argouges sur un ton dont la sévérité semblait quelque peu apprêtée. Qu’êtes-vous venu faire céans ?
    – Y mourir, pleurnicha

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