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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’indicible et de grand.
    –  Il n’est pas dit que certains saints n’ont pas… couché.
    Luciane souriait de sa repartie, le regard tourné tout à coup vers son oncle dont elle ne doutait plus qu’il couchât avec Ermeline. Ni d’ailleurs personne autour d’elle.
    – Je ne voudrais pas qu’une guerre vienne anéantir ce bonheur d’être tous ensemble.
    Tandis que son épouse retombait dans une mélancolie qui lui seyait aussi bien que la joie ou le plaisir, Tristan observait Thierry du coin de l’œil. Ses cheveux grisaillaient. La calvitie, plutôt que de poncer son crâne, dégageait un front déjà haut, et sous l’arc double des sourcils, ses yeux allaient de l’un à l’autre pour revenir, longtemps, se poser sur Ermeline. Des yeux étranges dont l’expression vivace, changeante, révélait une espèce de candeur qui était comme un reflet de sa jeunesse prime et qui, lorsqu’ils rencontraient Luciane, s’embuaient d’une douceur qu’Ermeline elle-même n’obtenait pas. Sans doute retrouvait-il sur son visage quelques-uns des traits de sa défunte femme.
    – Une guerre ? Tu ne manquerais pas de protecteurs : moi, ton père et Thierry qui te couve des yeux.
    – Le préfères-tu à mon père ?
    – Tu ne devrais pas me poser une question pareille ! reprocha Tristan à mi-voix… Mais enfin, j’y réponds en partie… Thierry n’a rien d’un saint. C’est un preux. Il a bataillé. Il a sauvé le roi à Crécy…
    L’âge sans doute avait courbé son nez. Une nèfe 135 s’y montrait qui, peut-être, se développerait davantage. Le corps était celui d’un guerrier : haut, large, capable de supporter tout un jour le fer en mailles ou en plates. Par la brèche de son pourpoint dont les crevets 136 pendaient, on pouvait entrevoir une poitrine pelue et l’amorce d’une ancienne blessure. Il parlait moins des épreuves qui l’avaient marqué que de celles de son beau-frère. Il semblait qu’il eût contracté envers celui-ci une dette dont son parent refusait de se souvenir. En fait, nul n’ignorait, pas même les soudoyers, que Thierry était un ancien fèvre que le seigneur de Gratot avait soustrait au service d’un baron périgourdin – son oncle, Guillaume de Rechignac – pour en faire un écuyer. Le fait d’avoir secouru Philippe VI à Crécy lui avait valu les éperons d’or. Il fallait le voir conter cette bataille, entendre sa voix grondante assortie de «  Pas vrai ? » lorsqu’il éprouvait le besoin d’obtenir l’assentiment d’Ogier d’Argouges. Luciane, pétrifiée d’intérêt, l’écoutait plus volontiers que son père, moins lugubre et moins disert. Même Tiercelet n’osait rompre le récit de cette geste où rien n’était imaginé. Seul quelquefois Paindorge, sans égards envers le narrateur, provoquait des intermissions qui lui valaient des reproches d’Ermeline et de Béatrix avides de savoir comment l’on s’entretuait pour éprouver secrètement des frissons délectables. Il semblait que l’angoisse éprouvée dans les murs de Ganne n’eût point suffi à contenter leur appétit d’émois et que leurs cœurs, las de battements uniformes, souhaitaient de tressaillir autrement que lors des transports de l’amour ou de leur simulacre. Adèle et Guillemette réprouvaient ouvertement ces parlures. Elles leur trouvaient, disaient-elles, un goût de larmes et la viscosité du sang.
    Et l’on disparaissait enfin, séparément : les soudoyers d’abord, les dames ensuite. Si les hommes s’attardaient quelque peu, personne, entre les murs, ne s’abusait quant à la fin de la veillée. Le seigneur de Gratot rejoindrait Adèle dans sa chambre ; Thierry, Ermeline dans la sienne ; Tiercelet sans façon retrouverait Guillemette.
    Seule Béatrix verrouillait sa porte, mais peut-être, plus tardivement, l’ouvrait-elle à Paindorge.
    « Ils n’ont pas eu besoin des sacrements du mariage », songeait Tristan.
    Loin de lui l’idée de trouver son sort moins enviable que celui de ses familiers. Il se demandait seulement comment se comporteraient ces hommes et ces femmes si la guerre exigeait leur séparation. Il doutait qu’elle fût aussi pénible que sa désunion d’avec Luciane.
    *
    Ce fut dans la fureur que commença décembre. Le ciel s’obscurcit ; une pluie blanche, épaisse, tomba sans trêve pendant quatre jours et quatre nuits. Le vent souffla sur cette neige molle et l’amoncela devant tous les obstacles : murs, talus,

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