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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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avait dû s’en défier d’autant plus qu’ils convoitaient Oriabel. Il bénit Dieu d’avoir abandonné Luciane. Elle se fût exposée aux mêmes appétits, aux mêmes jengles 198 , aux mêmes gestes que la défunte jouvencelle. Sa frayeur n’eût jamais cessé d’empirer. Ni sa vigilance d’époux, ni la protection de son père, ni l’admiration de Paindorge et des soudoyers n’eussent pu la préserver des menaces fétides, voire des actes de concupiscence délibérés.
    – Les mêmes… Malgré cette fumée, j’en reconnais certains.
    Comme lors de son arrivée au sommet du Mont-Rond, il se sentait pesé, toisé, percé à travers sa chair. Comme à Brignais, il soutenait les regards de ces crapuleux avec une sérénité hautaine dont la ténacité lui coûtait. La formidable présence de Calveley annihilait, chez ces malandrins, toute velléité de provocation, mais ne fallait-il pas craindre qu’elle ne prît son essor dès que l’Anglais disparaîtrait ? Et tandis que Bertrand saluait les bras levés et les mains jointes, comme l’eût fait sans doute, victorieux, un mirmillon ou un pugiliste antique, Paindorge grommela, lugubre :
    – Quel guêpier et quels guépins !
    Tristan acquiesça tout en examinant les lieux : une pièce où cent hommes eussent pu s’attabler sous un plafond qui s’arénait malgré des poutres herculéennes ; une cheminée dans le ventre de laquelle étincelait un feu et dont le linteau et la hotte de pierre avaient été maculés, au charbon, d’obscénités de toute sorte. Les murs également. Pas de femmes, mais sans doute étaient-elles proches car un chant suintait d’un rideau cramoisi.
    – Ferme ta goule ! aboya un homme.
    Le silence empesta le vin et la mangeaille. La viande aussi ; non point celle qu’on mange : la chair humaine, celle qui suinte, s’encrasse et empunaise. Pareils aux images des parvis, bien qu’aucun d’eux ne fût un saint – loin de là – les hommes immobiles attendaient que leur compère dénommât les visiteurs. Ils souriaient aussi d’un sourire qui montrait maintes mâchoires crénelées et lorsqu’elles ne l’étaient pas, des dents brunes de mangeurs de ténèbres. D’emblée, Tristan put reconnaître quelques-uns de ces patrices : le Petit Meschin, le bourg 199 Camus, le bourg de l’Esparre. Puis Espiote. Inchangés, ces hutins : bonne mine, le même port de tête, la poitrine imposante même sans mailles, le même regard de défi, la bouche bavotant d’un saumâtre plaisir. Et pour cause : d’honnêtes prud’hommes, Fleurs de la Chevalerie aux Lis, s’étaient rendus à eux pour les entretenir d’une grande invasion assortie de butins et de trésors énormes. Tout ce qu’une guerre autorise et tolère. Ce qui jusque-là les avait animés, c’étaient la passion des batailles, les prises et surprises d’une existence aventureuse, la convoitise sous toutes ses formes, le stupre illimité, la cupidité la plus vaste, tout ce qui pouvait exciter leurs cinq sens : le goût, l’odorat, l’ouïe, la vue et surtout le toucher. Ah ! Quelle volupté qu’une grande et belle guerre. Ils allaient accomplir celle-ci dans la légalité, sans rien changer à leurs usages. Ils s’en trouvaient honorés sans même l’avoir commencée.
    –  Bertrand… Où sont passés Bourbon et les autres ?
    – Mis pied à terre… n’ont pas voulu entrer dans l’antre.
    C’était une calembourdaine assez pauvre : une pincée de sel ou de poivre dans une phrase empoissée d’orgueil.
    – Pas vrai, Castelreng ?
    Tristan acquiesça. Comme à Brignais, il découvrait d’un seul coup d’œil, chez ceux qu’il avait reconnus, un vice particulier. Espiote aimait à violenter les garçonnets plus que les fillettes ; le Petit-Meschin se régalait de livrer ses captives à l’ardeur des chevaux ; le bourg Camus…
    – Holà ! Guesclin… Continue.
    – Certes ! Certes, mes bonnes âmes. J’ai parcouru dix lieues ce jour d’hui. Laissez-moi prendre mes aises.
    Le fait qu’ils eussent affaire à un homme de leur trempe rassurait les malandrins tout en conférant à leurs faces couleur de suif un air d’amiableté dont Calveley lui-même semblait satisfait. Et le sentiment qui dominait, qui étouffait Tristan maintenant qu’il avait mis un nom sur quelques têtes, c’était d’être à nouveau perdu et menacé. Si Guesclin se trouvait, et pour cause, en famille, il se sentait, lui, orphelin. Jamais, pas

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