Les foulards rouges
du
roi.
Le soldat hocha tristement la tête.
— La chance ne me fait point escorte
depuis longtemps !… Mort-Dieu, j’ai suivi le prince de Condé par fidélité
pour être depuis longues années de son armée du nord puis du siège de Paris
mais en cette époque, monsieur le prince était le meilleur défenseur de la
couronne. Les choses changent vite, trop vite pour un pauvre soldat qui n’a que
son épée.
— C’est la fortune des armes, qui change !
répondit Maximilien Fervac qui ajouta : elle change comme changent les
femmes.
Mathilde de Santheuil jeta un regard noir à l’officier
des Gardes Françaises :
— Monsieur Fervac, c’est idée fort
ancienne et bien fallacieuse que d’imaginer les femmes changeantes quand les
hommes ne le seraient point. Dans l’inconstance, les hommes valent bien les
femmes.
— En effet, madame, et j’ai parlé trop
vite ! répondit Fervac avec davantage de diplomatie, sans doute, que de
sincérité.
Par effet surprenant, le soldat roux venu d’Allemagne
qui, voilà peu, semblait grande carcasse de déterré, reprenait des couleurs et
tendit les mains vers le feu :
— Que la guerre est dure !
Le baron Le Clair de Lafitte, que l’homme
intriguait, lui demanda :
— N’avez-vous jamais servi autre chef que
monsieur le prince de Condé ?
— Certes, monseigneur, et je m’en suis
repenti. Deux saisons je fus en l’armée de Charles IV, duc de Lorraine et
qui, ayant perdu son duché, se mettait avec ses fortes troupes au service de
tous les rois de l’Europe contre bel or.
— C’est là armée puissante, mais de fort
mauvaise réputation ! remarqua Nissac.
— À qui la faute, monseigneur ? Le
duc ne nous payait point, il fallait bien vivre sur le pays !… Un hiver, n’ayant
plus de pain depuis trois semaines, nous avons mangé les chiens et les chevaux.
Puis nous avons mangé chair humaine. Un jour, les plus mécréants attrapèrent
deux nonnes fort jeunes et jolies et leur chanoinesse, bien vieille mais très
grasse. Ils ne les violèrent point, par respect de la religion, mais les découpèrent
en pièces et les mirent à cuire en grandes marmites pour avoir chair de
religieuses, mais aussi bouillon de religieuses… Et les chirurgiens de l’armée
du duc de Lorraine ?… De tous, les chirurgiens se montraient les plus
voraces !… Des goinfres sans repos !… Des gloutons sans pudeur !…
Souffriez-vous d’un doigt, ils vous coupaient la main. De la main, ils vous
coupaient le bras. Ainsi faisaient-ils pour avoir davantage de viande en leur
assiette !… Mais, par un effet tout contraire, ils devinrent eux-mêmes si
gras que nous les mangeâmes à notre tour.
Nissac et Le Clair de Lafitte échangèrent un
regard mi-dubitatif, mi-amusé, mais la baronne de Santheuil, bouleversée, regarda
l’Allemand avec compassion :
— Je vous plains !… C’est horrible !…
Et si vrai, tel que vous racontez !
L’Allemand partit d’un rire phénoménal puis, se
reprenant :
— Pardonnez-moi, madame, mais rien n’est
moins vrai. C’est là histoires que nous racontions la nuit, autour du feu, en
les bivouacs de l’armée de monsieur le duc de Lorraine.
Il jeta un regard par en dessous à Florenty.
— J’ai dit ce mensonge en pensant que, par
effet de pitié, une bonne âme me trouverait autre morceau de fromage.
Florenty n’eut point à répondre, le baron de
Frontignac sauta de cheval, une chose fort répugnante à la main. Sans discuter,
il colla la chose, qui semblait organe, sur l’œil malade du soldat allemand qui
protesta :
— Ah çà, monseigneur, que vous ai-je donc
fait que vous me traitiez si durement ?
Frontignac maintint la pression.
— Ah, ne discutez point. Pour œil
enflammé, il faut appliquer dessus poumon frais de brebis.
L’œil valide de l’Allemand roux s’alluma
aussitôt.
— Auriez-vous également ramené la brebis,
monsieur ?
— Pour quoi faire ?
— C’est que je souffre aussi de la faim, monsieur,
et que brebis à la broche est bon remède contre ce mal-là.
Frontignac ne se laissa point distraire et, d’un
ton docte :
— Vos dents sont pourries. Contre la
douleur de dents, portez au col une dent d’homme enfermée dans nœud de taffetas.
Nissac se leva et, avant de monter en selle, jeta
un regard amusé à l’Allemand qui pressait toujours le poumon de brebis contre
son œil enflammé :
— Présentez-vous aux officiers de
monsieur de Turenne,
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