Les foulards rouges
messe noire ?
— Non, en manger ? plaisanta l’Écorcheur.
De sa belle voix voilée, la baronne rétorqua :
— Non point, monsieur le mystérieux, car
j’ai appétit beaucoup plus délicat.
L’homme au masque d’argent apprécia, hochant
la tête à plusieurs reprises :
— Vous me plaisez fort, bien fort, baronne,
et en récompense, je vous foutrai un jour comme l’ont fait mes officiers, en
tous endroits différents.
Elle posa une main sur sa hanche pour se
placer en état d’effronterie qui souvente fois séduit les mâles :
— Pourquoi attendre, monseigneur ?
Flatté, l’Écorcheur frotta ses mains comme
pattes de mouche et répliqua en accent de bonne humeur :
— Ce n’est point l’heure, chère putain. Comme
vous savez le faire, répandez soufre sur ce cadavre de pauvre et innocente
jeune fille, et la messe sera dite !
La baronne se détourna et ouvrit un coffret
empli de poudre en songeant : « Mon dieu, qu’il s’en aille et me
laisse enfin, puis qu’il m’oublie à jamais ! »
Un vol de corbeaux survola la maison en
croassant, une bûche se brisa en la cheminée. Éléonor de Montjouvent se
retourna.
Les quatre hommes la regardaient les uns avec
désir, d’autres, tel d’Almaric, en grande admiration.
« Sourire. Sourire et tenir sans rien
laisser paraître, ce sera vivre ! » songea la baronne.
53
Après une période de repos, le comte de Nissac
et les siens allaient au pas lent de leurs chevaux, sans hâte, peu pressés, au
fond, de revoir Paris, ville qui leur serait hostile et où ils avaient laissé
des souvenirs mêlés.
Tous les hommes portaient le foulard rouge, à
l’exception d’Henri de Plessis-Mesnil, marquis de Dautricourt, qui ne l’avait
point mérité – et en souffrait.
Aux branches basses d’un arbre, ils virent
deux pendus dont les cadavres en décomposition attiraient nombreux corbeaux.
Le baron de Bois-Brûlé remarqua avec brièveté :
— Tiens, monsieur le prince de Condé est
passé par là.
Quoique tardif, le printemps apparaissait à
mille petits signes qui mettaient une joie secrète au cœur de chacun après un
si rigoureux hiver, un hiver de guerre, le cinquième depuis la première Fronde
dite « parlementaire ».
Des régions entières se trouvaient ruinées et
les autres, saignées à blanc par les impôts tantôt royaux, tantôt de la Fronde,
quand ce n’était point les deux tour à tour !
Les armées, qui se déplaçaient beaucoup depuis
le nord de la France jusqu’à la Guyenne, causaient partout grands dommages.
Elles cantonnaient chez l’habitant, à la grande épouvante de celui-ci qu’elles
pillaient, causant désordre en toutes choses, violant et tuant. Qu’il soit
considéré comme « ami » ou « ennemi » de la puissance
occupante ne changeait rien à l’affaire car, à la vérité, on le traitait
pareillement en l’un et l’autre cas. On emportait ses pauvres affaires, sa
nourriture et parfois même, jusqu’à ses instruments de cuisine. Plus grave, on
volait le grain des semailles. Souvente fois, après le viol des femmes, on
tourmentait pour savoir où se trouvaient les supposées « richesses »
de la maison et, la boisson aidant, bien des séances de tortures s’achevaient
par la mort de la victime.
Enfin, sans qu’ils en fussent conscients, les
soldats amenaient avec eux en toutes régions traversées de redoutables
épidémies qui emportaient les populations les plus faibles.
Si bien qu’on crevait de faim et de
souffrances en le royaume des lys, et allait bien souvent pieds nus par tous
les temps sur les plus mauvais chemins.
Cependant, la Fronde fleurissait et pour qui
pouvait montrer belle monnaie d’or, il n’était rien qui fût rare et en mesure d’être
acquis sur-le-champ.
À proximité d’Auxerre, la troupe de Nissac
tomba presque nez à nez, au détour d’un chemin, avec un parti de quatre
Condéens qui retraitaient peut-être, désertaient plus certainement…
Sans même attendre un instant, le marquis de
Dautricourt sortit l’épée et chargea tout aussitôt avec grande intrépidité.
Ses compagnons aux foulards rouges s’en
allaient lui prêter assistance lorsque le comte de Nissac les retint en levant
légèrement sa main gantée :
— Non point, messieurs.
— Mais pourquoi ? demanda Mathilde
de Santheuil, la main déjà posée sur la garde de son épée.
Le comte lui sourit.
— Je crois que tel n’est point le souhait
de notre
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