Les foulards rouges
aussitôt le comte, comme les deux serviteurs, créatures
entièrement acquises à Jérôme de Galand en sa police secrète.
Nissac admira le dessin du portail, dû à
Pierre Lescot, et les sculptures que Jean Goujon avait réalisées en ce même
portail. Mais, bien vite, son attention se concentra en un seul point : pourrait-il
loger tout son monde ?
La réponse fut bientôt évidente et Nissac eut
précisément en tête la disposition exacte des lieux. Ainsi, sur rue, de part et
d’autre du portail se trouvait une première cour flanquée de deux pavillons, l’un
contenant une grande cuisine, l’autre les écuries.
Puis venait la très vaste cour d’honneur qu’un
petit mur séparait d’une troisième cour, dite des écuries. Sur l’un des côtés, partant
des cuisines, courait une longue galerie dotée de combles à lucarnes qui
aboutissait au corps de logis, l’hôtel en lui-même, divisé en quatre espaces :
un cabinet de travail, une chambre vaste, une chambre plus modeste et une
grande salle. Sans parler des greniers où l’on pouvait loger deux fois l’effectif
des Foulards Rouges.
Redescendu en la cour d’honneur pour y
vérifier un dernier détail, Nissac eut la surprise d’y découvrir Jérôme de
Galand en son habit noir avec, quelques pas en arrière, le lieutenant Ferrière
et deux jeunes officiers de la police criminelle.
Le comte et le baron ne cachèrent point la
joie qu’ils éprouvaient à se revoir mais bientôt Jérôme de Galand entraîna son
ami à l’écart.
On les vit ainsi discuter longuement, aller et
venir en la cour d’honneur, sourire et s’inquiéter. Un instant, le comte de
Nissac mima dans le vide à gestes précis un espace dont seul Ferrière eut la
rapidité d’esprit de comprendre qu’il se trouvait à double issue et devait
poser quelques problèmes au comte.
Pour tous ceux qui, sans rien entendre, assistaient
à la scène, il n’était point douteux que le général d’artillerie et le général
de police mettaient au point quelque périlleuse affaire impliquant les Foulards
Rouges aux dépens de la Fronde.
Puis, les deux hommes semblèrent enfin d’accord
et revinrent vers Ferrière et le marquis de Dautricourt en changeant de sujet.
— Et l’Écorcheur ? demanda le comte
de Nissac.
— Il a recommencé. Par deux fois. Il
écorche avec moins de vigueur que voici trois ans mais a répandu du soufre sur
le cadavre de la dernière victime.
— Du soufre ?… Dans quel dessein ?
Galand haussa les épaules en signe d’impuissance.
— J’en suis réduit aux hypothèses, la
chose va de soi. Mais, voyez-vous, le soufre est condensation de la matière de
feu et celui-ci, de tout temps, inspira ceux qui veulent entretenir commerce
avec le diable.
— Voulez-vous dire que l’Écorcheur place
ses folles actions sous pensées démoniaques ?
— C’est fort possible. Au fond, cher
comte, nous savons tous deux, pour avoir vu les cadavres, que cet homme est fou.
Dès lors, qu’il le soit plus encore que nous ne l’imaginions ne change rien qui
fût décisif.
— Mais la chose rend-elle plus aisée
votre enquête ?
— Ce n’est point impossible. Ceux qui
rendent hommage à Satan ne sont point si nombreux et font appel à des
imposteurs connus de notre police… Nous verrons bientôt.
— Espérons. La Fronde suffit bien à notre
malheur.
Galand jeta un regard à ses hommes, puis
entraîna Nissac à l’autre extrémité de la cour d’honneur :
— Ici, nos affaires sont en meilleure
voie.
— Je n’ai point remarqué !… Baron, je
viens de traverser Paris, la Fronde y règne partout en maîtresse absolue de la
ville.
— La Fronde, oui. Monsieur de Condé, moins
aisément.
— Qu’entendez-vous par là ? demanda
Nissac, vivement intéressé.
Le policier hocha la tête d’un air entendu.
— Je connais parfaitement Paris. J’aime
cette ville. J’y suis né, et mon père avant moi. Je l’ai parcourue en tous sens
pour des affaires de police criminelle. Je connais ses faiblesses et ses
vaillances… Cher comte, si quelque jour affaire changeant le sort des hommes
venait à se produire, c’est de Paris que viendrait la chose.
Nissac, en un geste totalement inattendu de sa
part, passa son bras autour des épaules du policier et l’entraîna à marcher.
— Le gouvernement des hommes par les
hommes, le droit contre la force, la justice contre l’arbitraire, la liberté
contre la servitude…
— La
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