Les foulards rouges
moins
les frôler, comme s’ils fussent bêtes étranges et que leur dignité s’en trouvât
sans doute, bien naturellement offensée.
La veille, un jeune fou qui se disait cousin
de Satan avait laissé à destination de Galand des mots cachés sous pierres
plates qui l’entraînaient de lieu en lieu et devaient, au bout de la course, amener
rencontre avec le Prince des Ténèbres. Mais Galand connaissait bien Paris et
comprit très rapidement que, entre les fontaines et les regards, le jeune fol
lui faisait suivre le tracé de l’aqueduc de Marie de Médicis, achevé en 1624 et
qui comportait onze fontaines publiques et vingt-six regards. En conséquence de
quoi, il abandonna cette piste : le Prince des Ténèbres attendrait une
autre occasion.
Mais, cette fois, son instinct disait
clairement à Jérôme de Galand qu’il se trouvait en bonne situation.
L’homme qui lui faisait face, un faux prêtre simoniaque
et maquereau, le regardait avec froideur et réserve.
Sèchement, Galand lui exposa ce qu’il
cherchait, à quoi, tout aussi froidement, l’homme répondit :
— Peut-être en effet, Éléonor de
Montjouvent, qui seule utilise le soufre, ne m’est-elle point inconnue et
peut-être pourrais-je vous mener à elle.
Il regarda le Pont-Neuf, qui surplombait les
deux hommes, et ajouta :
— Mais qu’y gagnerai-je ?
Galand réfléchit. Son interlocuteur, un homme
intelligent, n’était point de ceux que l’on abuse avec paroles légères.
Il observa la Seine, le quai désert, leurs
ombres agrandies par un beau clair de lune puis, après un soupir :
— Savez-vous qui je suis ?
La réponse ne tarda point :
— Jérôme de Galand, lieutenant criminel
du Châtelet.
— C’est exact. Ai-je la réputation d’abandonner
ceux qui me servent fidèlement ?
— Vous n’avez point telle réputation, la
chose est vraie.
Galand hocha la tête avec une gravité exagérée.
— Alors je ne vous pose qu’une question :
que voulez-vous pour votre peine à me servir avec zèle et célérité en cette
circonstance ?
Le faux prêtre, pris de court, hésita un
instant puis :
— Qu’on laisse à leurs galanteries mes
deux putains. Qu’on me laisse en paix vendre objets saints que d’autres
dérobent en les églises. Enfin, que la police ignore ces réunions où les
bourgeois et certains nobles veulent rencontrer Satan mais qui finissent
toujours par fornications de tous et de toutes mêlés.
« Il n’est de bonne police sans
concessions », songea Galand qui rétorqua d’un ton sec :
— Soit, vous ne serez point inquiété. Eh
bien, cette baronne de Montjouvent ?
58
Souvente fois, en une semaine, on vit Fervac, dit
« le chanceux » au « Coq Noir ». Parfois seul, parfois
accompagné de Manon dite « la ravissante ».
Situé hors les murs de Paris, Faubourg
Saint-Victor, le « Coq Noir » ne payait point de mine mais n’y
entrait point qui voulait. En effet, devant la porte, se trouvait en permanence
un géant auquel il manquait une oreille et le moignon de celle-ci, qui semblait
fine dentelle de chair, portait encore la trace des dents d’un adversaire sans
doute fort résolu.
En apparence, le géant laissait entrer ou
point qui bon lui semblait mais, en vérité, il n’obéissait pas à quelque
caprice. Pour pénétrer au « Coq Noir », il fallait absolument réunir
deux conditions. La première, être truand reconnu. La seconde, se trouver tout
dévoué à la Fronde. Mais ces deux états se devaient être obligatoirement liés ;
un simple truand n’entrait point, et pas davantage un quelconque Frondeur.
Fervac, chaud partisan des princes et assassin
à cinq reprises, pouvait se sentir chez lui au « Coq Noir » où on lui
faisait toujours fête avec ce respect étrange qui, en ce milieu, va à ceux qui
ont pris la vie des autres. On le jugeait bon compagnon car le lieutenant des
Gardes Françaises n’hésitait point à ouvrir sa bourse pour abreuver ses
nouveaux amis.
Le « Coq Noir » était un endroit
tout en longueur, comprenant une cave sur le côté gauche et une autre issue
donnant sur une cour-jardin, celle-ci débouchant sur une rue perpendiculaire au
boulevard Saint-Victor.
Étrange établissement, que le « Coq Noir ».
Assassins, voleurs, maîtres chanteurs, violeurs, tous s’y côtoyaient en bonne
intelligence, échangeant des confidences sur les plus généreux des princes, les
moins regardants à la manière et de tous,
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