Les foulards rouges
cependant, les qualités l’emportaient
haut la main sur les défauts et elle ne pouvait imaginer autre homme occupant
si fort ses pensées.
Manon étant d’une rare beauté, et d’un
maintien altier qui provoquait le mâle, fut très vite remarquée, en les
bouchons et cabarets, par nombreux maquereaux qui auraient aimé mettre la belle
en leur lit et faire en sorte qu’elle leur assurât coquets revenus en vendant à
leur profit son corps splendide.
Les maquereaux, s’étant consultés, décidèrent
qu’on ne pouvait laisser femme si ravissante au beau Fervac, ce gêneur, qu’il
convenait d’occire au plus tôt.
Les provocations ne tardèrent donc point, d’inégale
gravité.
Tel, passant devant la table de Fervac et de
sa tendre amie, renversait leurs verres en riant. Un autre plaquait ses deux
mains sur les fesses de Manon. Le troisième faisait réflexion à voix haute sur
la tristesse qui était la sienne en voyant si jolie pouliche en bien médiocre
compagnie.
À chaque fois, et sans qu’il paraisse le moins
du monde ému, Fervac invitait le provocateur à sortir. Le cabaret était
aussitôt abandonné et ses occupants emplissaient la ruelle, généralement
obscure, choisie pour vider la querelle car tel spectacle ravissait les femmes
et intéressait les hommes : en ce genre d’occasion, et selon vieil usage, il
n’est jamais qu’un survivant.
Mais que ce fût au couteau ou à l’épée, la
rencontre frappait par sa brièveté et, bientôt, par l’absence de toute surprise
car Fervac sortait toujours vainqueur de ces duels où il ne recevait pas même
égratignure légère.
On le considéra donc avec respect, pour son
courage tranquille et sa grande habileté aux armes. Puis, des truands de
quelque importance l’invitèrent à leur table où Fervac étonna par l’admiration
qu’il manifestait pour la Fronde.
Aussi, on ne tarda guère à éviter tel sujet de
conversation qui ennuyait les ruffians. Mais Fervac y revenait sans cesse, plaidant
avec ardeur la cause des princes et maudissant « le Mazarin ».
Fervac fascinait.
Il avait tué cinq maquereaux, affichait sans
peur des lendemains changeants son soutien à la Fronde et échappait à toute
sanction. Les archers ne le trouvaient point alors même qu’il ne se cachait
nullement, et la police criminelle du très redouté Jérôme de Galand se montrait
impuissante à le capturer.
Le bruit courut qu’il était fort chanceux en
un milieu où la chance est chose très respectée en cela qu’elle vous assure
réussite et surtout survie.
Un jour, un homme de haute stature s’en vint
trouver Fervac et lui expliqua qu’il était de bonne justice de soutenir une
cause tout en tirant grands profits de celle-ci.
Fervac se montra intéressé et, rapidement, l’homme
lui parla du « Coq Noir », taverne discrète où se réunissaient gens
de leur sorte servant la cause des princes.
Rendez-vous fut donc pris aussitôt.
Jérôme de Galand n’ignorait
absolument rien des activités de Fervac et avait donné des ordres fermes et
précis pour qu’il ne fût point inquiété un seul instant. Pour lui, cette
affaire suivait son cours de manière satisfaisante.
Au reste, il se trouvait sollicité par autre
chose qui concernait le culte voué à Satan et ceux qui le pratiquaient.
De sa vie, il n’avait rencontré autant de fous,
une bonne dizaine, et presque autant de folles, dont il s’étonnait que la
justice royale les laissât en liberté bien qu’ils ne fussent point dangereux
mais fatigants à l’extrême.
On lui donnait rendez-vous en les lieux les
plus singuliers, dans les estaminets et les caves des Halles, du Quartier Latin
et du Palais-Royal. Sans parler de cet endroit ridicule, une cave plongée dans
le noir le plus total où on se trouvait servi par des aveugles. Sans doute
cette place, sous la plume de chroniqueurs fallacieux, apparaîtrait en les
siècles futurs comme lieu très étrange et très merveilleux pour sa qualité à
faire rêver mais, en attendant, quelle chienlit ! On n’y voyait goutte, les
clients se cognaient les uns aux autres et répandaient leur vin sur le
pourpoint du voisin. Quant aux aveugles censés bien connaître l’endroit, il n’était
point rare qu’ils trébuchent et renversent la bière sur le crâne d’un bourgeois
qui poussait de hauts cris. C’est pourtant aux aveugles que Galand accordait le
plus d’indulgence car les malheureux savaient qu’on venait sinon les voir, au
Weitere Kostenlose Bücher