Les foulards rouges
monsieur de Turenne.
L’armée du prince se trouvait bloquée, et
Mazarin en position de force.
À la Cour, on exultait.
Mais seuls le roi et Mazarin savaient que ce
succès inespéré lui venait des renseignements précis envoyés par Nissac qui
dépêcha en un temps d’extrême rapidité deux parmi ses meilleurs Foulards Rouges.
Chose très inhabituelle, qui n’était point en sa manière, le comte insistait en
un dernier paragraphe assez personnel sur les très grands mérites et qualités
de ces deux hommes. Ces deux hommes très précisément.
Le cardinal sourit, n’étant point dupe. Au
reste, à force de lire des rapports, il avait le sentiment de bien connaître ce
petit homme brun appelé Anthème Florenty, et qui fut faux saunier avant que d’être
Foulard Rouge, et redoutable au mousquet.
Mais Maximilien Fervac lui plaisait davantage
encore. Lieutenant aux Gardes Françaises, considéré, après Nissac, comme une
des meilleures lames du royaume, bel homme souriant, d’esprit vif et d’une
éloquence facile, le Premier ministre se souvenait parfaitement de son rôle de
première importance en l’affaire du « Coq Noir » qui ridiculisa une
fois de plus le duc de Beaufort – que le cardinal haïssait – et décapita le
service des agents de Condé.
Mazarin ne renvoya point immédiatement les
deux hommes et les reçut le lendemain en une salle où se tenaient huissiers et
secrétaires qui semblaient réunis en l’attente d’une cérémonie.
Puis, le roi entra, Mazarin à sa gauche et, croyant
défaillir, les deux Foulards Rouges devinrent barons de Fervac et de Florenty
en quelques instants.
Lorsque les deux nouveaux barons, chancelant
de fierté, se retirèrent, le jeune Louis XIV observa en souriant son
Premier ministre et lui dit :
— Pour les combler ainsi, je crois que
vous les aimez beaucoup trop, ces messieurs des Foulards Rouges.
— Comme on aime ses enfants, sire. Et que
sont-ils d’autre, au fond ?
Le visage du jeune monarque s’assombrit.
— N’oubliez pas qu’ils vivent à tout
instant au milieu des plus grands périls et qu’avant la victoire, si Dieu nous
la donne, vous en perdrez quelques-uns, peut-être tous.
— Je ne l’ignore pas, sire. Monsieur de
Galand m’a fait parvenir rapport. Cette fois, la Fronde veut les tuer et d’après
lui, qui ne se trompe jamais, elle en tuera… Mais sire, à se bien souvenir, quel
bonheur fut le nôtre quand tout allait si mal pour nous d’écouter le récit de
leurs aventures !… Ils étaient un peu de l’honneur de la couronne, un peu
de la bravoure de la France et beaucoup de notre revanche lorsque, de toutes
parts, on cherchait à nous humilier !… Comment l’oublier ?
Louis XIV s’approcha de la porte, puis se
retourna vivement :
— Je les aime aussi. Et bien trop, bien
trop fort pour un souverain. Si je vous ai parlé ainsi, c’est pour vous
préparer au pire afin de prévenir votre chagrin qui, comme le mien, sera bien
grand.
— En effet, sire.
— D’autant que viendraient-ils à tous
mourir, l’histoire ne doit rien savoir de leur existence. Le royaume de France
n’a pu dépendre d’une poignée de barons et de galériens commandés par l’héritier
d’une des plus vieilles familles de la noblesse.
— Je sais, sire !
Le roi soupira :
— Qu’est-ce qu’une vie ?… Qu’est-ce
qu’un destin ?… Au moins, s’ils meurent jeunes encore, ont-ils vécu
plusieurs vies en une seule. Mais de vous à moi, si je ne compte votre
précieuse personne et celle de madame ma mère, ces Foulards Rouges sont chacun
une des fleurs de lys de ma couronne.
61
Dans l’incapacité de libérer son armée
assiégée dans Étampes, il fallait au prince de Condé quelque action d’éclat
pour sauver son prestige.
D’autant que les plus extrémistes des
Frondeurs poussaient les excités à se venger. Ainsi, en plein palais de justice,
le procureur du roi fut-il sévèrement battu encore même qu’il se trouvait à
terre, et c’était là chose jamais vue.
Puis, en la suite de la journée, une foule où
se mêlaient des éléments troubles toujours plus nombreux se présenta devant la
prison de la Conciergerie dont elle enfonça les portes avant de libérer les
détenus qui n’étaient point là pour raisons politiques mais pour crimes et
méfaits nombreux.
Le duc de Beaufort, qui jamais ne recula
devant une initiative malheureuse, songea alors à faire de cette foule une
armée qui
Weitere Kostenlose Bücher