Les foulards rouges
parque les fous
incurables.
Le regard perdu, ne saisissant plus que très
imparfaitement le fonctionnement du monde, le duc de Beaufort porta la main à
son crâne bouillant, ne chercha plus à comprendre quelle force maléfique
soutenait les Foulards Rouges et, la mort dans l’âme, donna le signal du repli
vers Paris, ville où il entra tête basse suivi d’une troupe où certains
titubaient.
Des Parisiens réveillés par les préparatifs de
victoire du duc ne manquèrent point de saluer son retour avec toute l’ironie qu’appelait
la situation.
Le comte de Nissac attendit encore une dizaine
de minutes, puis fit rallumer les torches.
Ils avaient une longue marche devant eux, se
trouvant dans l’obligation d’entrer dans Paris par la Porte de Nesle, fort
judicieusement placée, depuis peu, sous l’entier contrôle des hommes de Jérôme
de Galand.
Le comte prit la baronne par la taille.
— Madame, ce foulard rouge me fait songer
à vos jarretières de semblable couleur.
Elle l’embrassa avec violence, puis lui
murmura à l’oreille :
— Monsieur que j’aime, encore un peu de
patience et ce qui demeure de la nuit sera à nous.
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Jérôme de Galand ne se décourageait point, bien
qu’il eût enregistré trois échecs successifs en sa recherche d’Éléonor de
Montjouvent qui, selon toute apparence, se tenait sur ses gardes.
Une première fois, elle venait de changer
brusquement de logis sans indiquer le nouveau lorsque le général de police se
présenta. Une deuxième fois, lors d’une soirée vouée au culte de Satan, elle s’était
retirée si vite que le policier, prévenu tardivement par le simoniaque, la
manqua de quelques minutes. Enfin, la troisième fois, et tandis que le
dispositif de police semblait aussi discret qu’efficace, Éléonor de Montjouvent
n’était point venue, sans prévenir ceux qui l’attendaient.
Le policier, que sa nature ne poussait point
au découragement, ne voulait retenir en tout cela que deux points satisfaisants.
Ainsi, le premier, où son informateur simoniaque se montrait loyal et désireux
d’être fidèle à sa promesse. Le second tenait à la qualité des renseignements
transmis par ce même informateur : l’homme se montrait à l’usage
remarquablement précis et fin connaisseur du sujet qui les occupait l’un et l’autre.
La suite était donc affaire de patience et d’une
pincée de chance – et non de soufre, songea-t-il, amusé. Mais Jérôme de Galand,
s’il possédait sans conteste la ténacité, ne doutait pas que la bonne fortune
finirait par lui sourire.
Le policier déambulait seul en les rues, une
garde discrète et silencieuse le suivant et le précédant à peu de distance. De
loin en loin, des hommes et quelques femmes lui adressaient discrets petits
signes de reconnaissance, furtifs et respectueux. Souvente fois, il s’agissait
de truands saluant à leur manière un homme qui les avait arrêtés, ou les
arrêterait un jour.
Pensif, Jérôme de Galand pénétra dans une
auberge où il avait ses habitudes et dont le propriétaire et quelques familiers
du lieu l’avaient surnommé « le chat ».
Le chat, parce qu’un jour, d’un vif mouvement
de tête, il avait évité un adroit lancer de poignard à un doigt de son visage. Le
chat en raison également de ses habits noirs et lustrés de vieux matou
batailleur et rusé, de son regard fixe et de sa délectation du poisson.
Celui-ci manquant ce jour, Jérôme de Galand
dîna légèrement de passereaux et de merles ainsi que de quelques beignets. Il
buvait de l’eau, ayant le vin en horreur, et mâchait avec lenteur, le regard
perdu vers un mur, indifférent au fait qu’autour de lui, toutes les tables se
trouvaient vides sans que se présentassent preneurs.
Non sans inquiétude, il songeait à ses amis « Foulards
Rouges ». Certes, la cachette en l’hôtel de Carnavalet faisait merveille
tout comme le « propriétaire », Henri de Plessis-Mesnil, marquis de
Dautricourt, qui se rendait aux réunions des chefs de la Fronde, raillait avec
esprit « le Mazarin », bref, jouait un jeu tout de duplicité et de
finesse.
Mais d’un autre côté, le prince de Condé s’agaçait
et promettait forte récompense à qui permettrait la capture de « la bande
des Foulards Rouges ». Cependant, avec la catastrophe du « Coq Noir »
et le guet-apens en l’arrière-cour du Faubourg Saint-Victor où ses agents
furent abattus sans pitié, le prince avait perdu
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