Les foulards rouges
l’autre.
Un instant, un coup terrible de la duchesse ne
fut évité par la baronne qu’en reculant vivement la tête et ne l’eût-elle point
fait, qu’elle se serait à jamais trouvée défigurée par longue balafre.
Tel était à l’évidence le désir de la duchesse
qui ébaucha un vague sourire mais celui-ci, qui ne laissait point place au
doute sur l’intention de madame de Luègue mit madame de Santheuil en état de
colère froide.
Elle recula donc et, à la surprise de la
duchesse, se tint l’épée haute, à la verticale.
Un instant décontenancée, madame de Luègue se
précipita sur Mathilde de Santheuil qui se baissa et détendit vivement le
poignet.
Touchée à la cuisse, la duchesse recula en
tirant la jambe tandis que le baron de Fervac, qui arbitrait le duel, se
précipitait pour proposer la fin du combat.
À cet instant, Jérôme de Galand se pencha vers
le comte de Nissac en disant :
— Ce duel est inégal. La duchesse veut
tuer la baronne quand celle-ci ne veut que blesser son adversaire.
Nissac, qui l’avait compris lui aussi, se
contenta de hocher la tête, préoccupé, car la duchesse renvoyait Fervac et
reprenait sa place pour poursuivre le duel.
Et, bien qu’ayant grande difficulté à se
mouvoir, madame de Luègue recommença ses attaques violentes avec tout le savoir
acquis sur les champs de bataille lorsqu’elle combattait victorieusement les
armées royales du comte d’Harcourt, du duc d’Épernon ou du maréchal d’Hocquincourt.
Une fois encore, madame de Santheuil limitait
son action à parer les attaques de la duchesse mais celle-ci ayant tenté à
nouveau de défigurer la baronne, les choses prirent autre tournure.
Mathilde rompit, recula de trois pas et
retrouva sa garde haute.
La duchesse de Luègue s’approcha avec prudence,
sans baisser la garde, mais dans son regard passa une peur fugitive.
Mathilde avança sur l’attaque en baissant
vivement l’épée et, blessée au poignet, la duchesse recula, effarée.
Fervac se précipita de nouveau. Madame de
Luègue le repoussa et voulut ramasser son épée mais son poignet sans force l’en
empêcha.
Blessée à la jambe droite et au poignet droit,
la duchesse n’était plus en état de combattre et, faisant preuve d’autorité, Fervac
mit fin au duel. Puis il noua un mouchoir de dentelle blanche au poignet de
madame de Luègue.
Sans attendre davantage, Jérôme de Galand leva
la main en direction d’un bâtiment où ne se voyait personne et pourtant, peu
après, un carrosse arriva en lequel on fit monter la duchesse.
Et, comme Nissac le regardait avec étonnement,
le policier précisa, l’air fataliste :
— Duel de femmes est chose d’une très
grande rareté mais toujours impitoyable. Le duchesse de Luègue a eu de la
chance que Mathilde de Santheuil fût son adversaire, d’autres, et elle la
première, n’auraient point fait montre de cette grandeur d’âme.
Le comte de Nissac hocha la tête puis, regardant
le policier :
— La duchesse de Luègue vit-elle seule ?
— De plus en plus éloignée du monde. Comme
si les combats de la Fronde ne l’intéressaient que de loin bien qu’elle y soit
encore active. Peut-être se bat-elle pour l’honneur, pour ne point abandonner
les siens mais je sais qu’elle n’aime guère monsieur le prince de Condé, ni les
autres chefs factieux.
Le comte réfléchit un instant et répondit :
— Alors je vais lui envoyer quelqu’un
afin qu’elle ne demeure point seule et je sais que l’un et l’autre auront
plaisir à se revoir.
Le policier eut un vague sourire :
— Ah oui, le jeune marquis de Dautricourt.
C’est un garçon fort agréable.
Sur ces paroles qui déconcertèrent un instant
le comte de Nissac – décidément, Galand savait tout ! –, le policier se
mit en selle et, du geste, donna l’ordre du départ. Aussitôt, les chevaux
sollicités au fouet s’élancèrent et le carrosse s’éloigna, suivi du lieutenant
Ferrière qui, à cheval, tenait par la bride la pouliche blanche de la duchesse.
Le comte prit Mathilde dans ses bras tandis
que Fervac s’écartait pour s’en aller chercher les chevaux.
— Je devrais vous gronder bien fort, baronne,
pour tous ces risques encourus à seule fin de ne point tuer madame de Luègue
qui vous voulait occire.
Mathilde lui sourit.
— L’aurais-je fait, monsieur, que la
chose eût tourmenté mon âme et qu’il eût existé à jamais une ombre entre vous
et moi.
65
La
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