Les foulards rouges
attaqué par
ce maudit chien qu’en le pays on appelle « Mousquet » et qui serait
celui du comte. Le mal s’y est mis et ma jambe part en lambeaux.
— Il faudrait écorcher les peaux viles
pour sauver le reste ! dit le comte de Beaufort avec indifférence.
— Écorcher est un art, monseigneur !
répondit Bertrand en regardant son maître droit dans les yeux.
— C’est aussi mon avis ! rétorqua
Beaufort sans baisser les siens.
63
Les Foulards Rouges n’eurent aucune peine à
maîtriser les laquais qui gardaient l’entrée d’une belle demeure de la rue des
Petits-Carreaux, située à égale distance des Portes Mont-Marthe et Saint-Denis.
Dans l’escalier de marbre, ils croisèrent un
homme au teint foncé, yeux et cheveux très noirs, qui plongea aussitôt sa main
vers sa ceinture.
Mais Nissac, saisissant le poignard dissimulé
en la tige de sa botte, fut plus rapide et l’homme, la poitrine traversée, mourut
avec sur le visage une expression de totale incompréhension car jamais encore, en
plus d’une centaine d’occasions, on ne l’avait pris de vitesse au lancer de
poignard.
Nissac, sans un mot, tira sur le manche de son
arme, essuya la lame au vêtement de sa victime et la replaça en sa botte.
Peu après, ils pénétrèrent en une vaste et
jolie chambre. Une jeune fille nue se trouvait assise à califourchon sur un
homme nu lui aussi, le teint foncé et le ventre si gras qu’on eût dit une femme
à terme.
Avec grande élégance, le baron de Fervac prit
la main de la jeune fille, l’arracha doucement à son étreinte amoureuse et lui
couvrit les épaules de sa cape avant de l’entraîner en une autre pièce mais, à
constater comme le lieutenant des Gardes Françaises et la jeune fille se
regardaient, Nissac songea que Fervac ne serait point disponible avant quelque
temps…
Le comte et les Foulards Rouges observaient
froidement le gros homme qui roulait des yeux où se lisait grande inquiétude.
Nissac parla sèchement :
— Celui qui te gardait et qui, comme
toi-même, était de l’île de Malte, est mort.
L’homme trembla plus fort encore, tant à l’annonce
de cette nouvelle qu’à la vue de ces foulards rouges qui couvraient le bas du
visage de ses agresseurs et dont il comprit assez tardivement qu’il s’agissait
là de cette bande loyaliste au service du cardinal et dont le nom était attaché
à une interminable série de succès.
Nissac s’assit au bord du lit et donna une
claque amicale sur le gros ventre nu du Maltais en disant :
— Crever telle bedaine à l’épée doit être
fort amusant. Qu’en pensez-vous ?
Se gardant de prononcer un nom propre, Nissac
interrogea Le Clair de Lafitte du regard. La réponse ne tarda point :
— Pareil bedon doit contenir beaucoup d’air
et, par l’orifice de l’épée, nous risquons de déclencher forte bourrasque !
Nissac se leva, réfléchit, puis se tourna vers
l’homme :
— Il m’est indifférent qu’arrivé de Malte,
tu cherches fortune en terre de France. Mais je ne puis tolérer que tu
fortifies ta graisse en devenant fournisseur aux armées des princes félons.
— Moi ?… demanda le Maltais.
Le baron de Bois-Brûlé le gifla si fort qu’une
dent vola à travers la pièce.
Nissac fit alors signe à Frontignac qui récita
de mémoire :
— Le vingtième de ce mois de juin, tu as
livré aux intendants des princes félons deux cents chevaux, quatre-vingts
mousquets, quarante arquebuses, cent cinquante pistolets, trois cents épées, des
boulets au nombre de quatre cents et deux canons.
— Ce bel or revient au roi de France !
dit le comte.
Le Maltais, qui reprenait ses esprits, feignit
de nouveau l’étonnement bien que cette attitude, voici peu, ne lui eût point
réussi :
— Qui vous a dit pareille menterie, mes
beaux seigneurs ?
Le comte de Nissac adressa un signe de tête au
baron de Florenty qui, aussitôt, s’assit au bord du lit, saisit une main du
Maltais et, d’un geste vif du couteau, lui coupa un doigt.
Le Maltais hurla, mais une formidable gifle
administrée par monsieur de Bois-Brûlé le calma aussitôt.
— Où est cet or ? demanda de nouveau
le comte.
— Je n’en ai point, monseigneur !
Sur un signe de tête de Nissac, Florenty coupa
une oreille du Maltais et, sans doute inspiré par ce qu’il avait vu au « Coq
Noir », la mangea. La mastication de Florenty bouleversa davantage le
Maltais que la perte de son oreille tant il est vrai
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