Les foulards rouges
seras-tu
jugé par tes pairs, ou bien seul le roi est-il en mesure de t’infliger
châtiment mais toi qui fus la toute-puissance, qui commandas belles et grandes
armées, je te traînerai d’abord comme un assassin au Petit-Châtelet.
— J’en serais fort étonné ! répondit
en souriant l’Écorcheur qui, sortant vivement un pistolet, l’appuya sur la
tempe du Foulard Rouge et fit feu.
Entre le carrosse
qui flambait comme une torche et les treize cadavres alignés au bord du fossé, les
Foulards Rouges ne pouvaient guère feindre la paix d’un bivouac.
S’élançant, le comte de Nissac et le marquis
avaient dételé les malheureux chevaux qui risquaient de brûler vifs, puis
chacun avait occupé son poste de combat.
Ainsi, les mousquetaires chargèrent… le vide.
En effet, dispersés, cachés derrière une
charrette, un arbre ou à l’angle d’une maison, les Foulards Rouges n’offraient
point de cible groupée.
Il y eut un léger flottement chez les
mousquetaires et c’est à cet instant que le baron de Florenty utilisa son
mousquet ; le colonel des mousquetaires vida les étriers, tué sur le coup.
Aussitôt, les Foulards Rouges attaquèrent au
pistolet et quatre nouveaux mousquetaires tombèrent.
Vulnérables sur leurs chevaux, ayant repéré
les coups de départ des armes à feu, et par conséquent leurs adversaires, les
mousquetaires mirent pied à terre.
À sept contre quinze, le combat entrait en les
normes des Foulards Rouges.
Protégé par la présence toute proche du comte
de Nissac et de madame de Santheuil, dont les épées formaient muraille
infranchissable, Florenty tuait à tout coup et rechargeait très vite son
mousquet si bien qu’on se retrouva à sept contre douze, puis contre dix, et l’on
allait atteindre nombre égal de combattants lorsque, arrivant au grand galop, Jérôme
de Galand, la baronne de Montjouvent et dix archers tombèrent sur les arrières
des mousquetaires.
Les rares survivants, fort raisonnables, jetèrent
leurs épées.
Pendant qu’en tête à
tête le baron Jérôme de Galand interrogeait la femme borgne et tirait d’elle
tout ce qu’elle savait, c’est-à-dire bien peu de chose, les Foulards Rouges, la
torche à la main, fouillaient la campagne à la recherche de Le Clair de Lafitte.
Ils revinrent une heure plus tard, à l’instant
où, fouettant l’arrière-train d’un cheval, le chef de la police criminelle
pendait haut et court la femme borgne. En effet, en s’écartant, le cheval
tirait sur une corde passée au-dessus d’une maîtresse branche ; corde dont
l’autre extrémité, achevée en nœud coulant, serrait le cou de la borgne.
Se désintéressant du corps qu’agitaient d’ultimes
convulsions, Galand ôta son chapeau noir devant les arrivants.
Nissac, tête basse, marchait seul en tête. Le
brancard de fortune sur lequel gisait le corps sans vie de Melchior Le Clair de
Lafitte était tenu par Sébastien de Frontignac, César de Bois-Brûlé, Maximilien
de Fervac et Anthème de Florentty, ses plus vieux compagnons.
Puis, torche à la main, venait Henri de Plessis-Mesnil,
marquis de Dautricourt.
Au silence qui se fit soudain dans la nuit, tous
les archers ôtant leurs chapeaux et les quatre mousquetaires prisonniers
cessant leurs murmures, Mathilde de Santheuil sortit de la maison pour assister
à l’arrivée du funèbre cortège qu’une chouette salua en lançant son cri
inquiétant.
Nissac vit Mathilde pétrifiée à la porte de la
maison, Galand tête baissée et chapeau à la main, les mousquetaires silencieux
et gênés, le carrosse carbonisé qu’éclairaient encore maigres flammèches.
Puis son regard s’arrêta sur le corps de la
femme borgne qui se balançait à deux toises du sol.
— Était-ce vraiment nécessaire ? demanda
le comte en désignant la pendue d’un signe de tête.
Galand se crispa légèrement :
— À Paris, où triomphent avec insolence
les tribunaux de la Fronde, elle serait ressortie libre, et sur l’heure. J’applique
donc les lois de la guerre.
Nissac observa les mousquetaires qu’on avait
fait asseoir sur le sol, désarmés :
— Et eux ?
— Ils en savent trop. Les tuer serait
facilité mais cruauté inutile. Je vais les faire conduire en les geôles royales
et veiller à ce qu’ils y restent au secret tout le temps de la guerre civile.
Nissac regarda le visage de son ami Melchior, sa
tempe éclatée, un œil sorti de l’orbite, les esquilles d’os, le sang
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