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Les foulards rouges

Les foulards rouges

Titel: Les foulards rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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et l’armée royale à Saint-Denis.
    Mais même les plus naïfs n’ignoraient point
que le choc aurait lieu et cela tendait encore davantage l’atmosphère.
    Dugary s’était depuis longtemps levé et, sa
timbale de vin à la main, allait de table en table, écoutait, hochait gravement
la tête, approuvait toujours l’orateur mais, lorsque le propos se révélait trop
ouvertement hostile à la Fronde, il avait manière particulière d’observer le
visage de l’opposant, comme s’il voulait graver ses traits en sa mémoire.
    — C’est bien lui ! souffla le comte
de Nissac.
    — Assurément ! répondit le baron de
Fervac.
    En sa tournée qui le menait de table en table,
comme s’il cherchait à connaître toutes les opinions qui s’exprimaient au « Loup
Pendu », il arriva bientôt devant le comte et le baron, ce dernier bien
décidé à écœurer le délateur.
    D’une voix de grande vulgarité, Fervac s’adressa
à Nissac en le tutoyant, comme il sied à vieux compagnons aux échoppes voisines :
    — Je ne te dis point qu’elle n’a pas beau
cul, il est même fort aimable et les fossettes qu’on y voit semblent charmant
sourire à toi seul adressé dès que la belle te tourne le dos… Les seins sont
gros et ont tout pour me plaire.
    — D’où te vient alors ton embarras ?
questionna le comte, feignant d’ignorer Dugary qui se tenait légèrement en
retrait et ne perdait pas un mot de la conversation.
    Fervac dodelina de la tête.
    — Mon embarras, mon embarras, il me vient
de ce que Charles, son mari, est bon compagnon et soutien des princes comme
nous le sommes nous-mêmes.
    — Tu répugnes donc à le faire cocu ?
    — Faire cocu un ami est vilaine chose, mais
dire non à un derrière qui vous sourit, n’est-ce point un crime contre l’amour ?
    Dugary s’éloigna. Ceux là étant frondeurs et
parlant de fesses ne représentaient aucun danger. Il s’en désintéressa donc
pour passer à une autre table.
    Fervac sourit à Nissac en affectant un ton de
cérémonie :
    — Excusez ce tutoiement, cher comte.
    — Vous êtes pardonné, cher baron, les
circonstances en appelaient ainsi.
    Le comte de Nissac but une gorgée de vin, puis
questionna :
    — Au fait, de qui parliez-vous ?
    — Vous voulez dire… celle qui a beau cul
souriant ?
    — Précisément.
    Le baron de Fervac posa sur son verre un
regard mélancolique.
    — Il n’est pas de femme qui n’ait pas
beau cul. Seule compte la qualité du regard qu’on y pose et…
    Il s’interrompit car, levant les yeux, il vit
Dugary quitter la taverne du « Loup Pendu ».
    Ils entreprirent de le suivre.
    La chose fut fort malaisée, car l’espion des
princes se retournait souvent et à intervalles irréguliers. Bientôt, il
accéléra le pas et les deux Foulards Rouges furent contraints de l’imiter, ce
qui n’assurait point discrétion à leur entreprise.
    — Il va vers les Saint-Innocents ! souffla
Fervac.
    — Alors il sait que nous le suivons !
répondit le comte.
    Plus ils approchaient du cimetière des
Innocents, plus l’odeur devenait pestilentielle tant il est vrai que ce
cimetière était le plus grand de Paris.
    Des milliers de corps y reposaient, certains
depuis des siècles, d’autres à peine en décomposition. Le quartier, pourtant
animé, se trouvait le lieu privilégié des épidémies. L’eau des puits était
infectée par les matières putrides qui suintaient vers les eaux souterraines. En
les caves, le vin se gâtait et tournait au vinaigre en moins d’une semaine. Au
reste, le niveau du secteur se trouvait relevé d’une toise par rapport aux
autres rues.
    Dugary se mit brusquement à courir, aussitôt
imité par les deux Foulards Rouges mais le traître, petit et gras, ne pouvait
espérer rivaliser avec deux hommes en meilleure possession de leurs moyens. Cependant
la course était difficile car, en ce mauvais terrain, on trébuchait parfois sur
un tibia ou un fémur faisant saillie depuis le sol.
    Les cadavres, on ne savait plus du tout où les
mettre. Et la Saint-Barthélemy, qui fut grand massacre de protestants, n’avait
fait qu’empirer les choses. En la nuit du 23 au 24 août 1572, avertie par le
tocsin de Saint-Germain l’Auxerrois, la populace se rua sur les protestants
venus en la capitale pour assister au mariage d’Henri de Navarre avec
Marguerite de Valois. On en tua plus de trois mille et, sous le soleil d’août
qui hâtait la pourriture des corps, il fallut trouver

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