Les foulards rouges
Joseph, ce
Theulé avait évoqué le portrait de Mathilde, ce que confirma Jérôme de Galand, affirmant
qu’il se trouvait d’autres truands portant semblable portrait.
Qui pouvait assurer que l’Écorcheur, qui
semblait tant tenir à Mathilde, renoncerait à la jeune femme alors que, depuis
quelque temps, il renouait avec ses horribles crimes ?
Or donc, chaque fois que Mathilde s’en allait
voir son père, Nissac envoyait discrètement un Foulard Rouge surveiller le lieu.
Aujourd’hui, Sébastien de Frontignac se
chargeait de cette mission. Une chance ! Frontignac, bon soldat, savait qu’à
deux contre vingt, il se serait fait tuer sans rien empêcher. Il avait donc
probablement suivi les ravisseurs à distance et, sitôt repéré le lieu où l’on
détenait Mathilde, il reviendrait chercher les Foulards Rouges, au grand galop.
Mais où reviendrait-il ?… Ici, « Aux
Armes de Saint-Merry » ?… Ou bien en l’Hôtel de Carnavalet ?…
Il se tourna vers Fervac et Le Clair de
Lafitte, tous deux militaires, et qui se tenaient à ses côtés :
— Dans l’incertitude de l’endroit où se
trouvent ses chefs, un bon officier ne revient-il pas de préférence au lieu de
cantonnement ?
Les deux barons approuvèrent.
Aussitôt, Nissac et les siens se mirent en
selle et prirent la direction de l’Hôtel de Carnavalet.
Peu avant la Porte
Saint-Honoré, les dix truands avaient transféré Mathilde en un carrosse aux
rideaux tirés.
Ligotée, un bâillon sur la bouche et jetée sur
le plancher du carrosse, la jeune femme tentait de conserver son sang-froid
sans toutefois y parvenir totalement.
La mort de son père, qui s’était bravement
placé devant elle, la bouleversait. À quoi s’ajoutait la terreur liée à cet
événement.
Elle songea : « Loup, viens me
chercher bien vite car la mort rôde autour de moi. »
Nissac, qui se
tenait devant l’Hôtel de Carnavalet, vit arriver un cavalier sur un cheval
épuisé, l’encolure basse, qui souffrait d’une jambe et dont l’écume, depuis les
naseaux, montait jusqu’au chanfrein.
Avec cette rapidité qu’on voit aux officiers
en campagne, Sébastien de Frontignac sauta de son cheval fourbu et d’un bond
grimpa sur un alezan dont Fervac lui tendait les rênes. Pour autant, il ne fit
pas attendre le comte de Nissac :
— Elle n’est point très loin, en une maison
isolée du village d’Auteuil, soit une lieue de Paris.
Les Foulards Rouges se mirent en selle avec un
ensemble parfait puis prirent le galop, l’imposant baron de Bois-Brûlé, en tête,
faisant garer les passants avec de grands gestes autoritaires.
Chevauchant au côté de Frontignac, le comte
questionna :
— Combien de gardes ?
— Une dizaine. D’autres, peut-être, en la
maison.
— Quand êtes-vous revenu me chercher ?
— Sitôt qu’ils arrivaient. Leur avance
est courte et nos chevaux rapides.
— Puissiez-vous dire vrai !… La nuit
tombe…
Le lourd carrosse de
l’homme au masque d’argent s’ébranla, précédé des deux officiers en civil et
suivi à distance d’une vingtaine de mousquetaires.
Le marquis Jehan d’Almaric faisait claquer son
fouet car il savait la hâte de son maître qui attendait cet instant, à présent
tout proche, depuis des années.
En quoi il ne se trompait point.
L’Écorcheur, sitôt franchis les murs de Paris,
ajusta son masque d’argent en murmurant :
— Enfin !…
Hésitant d’abord sur le parti à tenir, et par
exemple se jeter sur sa proie avec sauvagerie, il décida que, tout au contraire,
il lui faudrait prendre son temps, faire durer le plaisir avant la mise à mort
et cet instant où il ramènerait la tête de la belle en un bocal et sa peau en
un fin rouleau satiné.
Jérôme de Galand piaffait d’impatience.
Quoi, il savait enfin le lieu où l’Écorcheur s’adonnait
à ses rituels barbares et devait différer de s’y rendre au motif que le prince
de Condé imaginait complot contre son Hôtel ? Et cela tombait sur lui
précisément, en raison que prévôt, lieutenant civil, tous avaient fui Paris ou
demeuraient introuvables !
Il prit brusquement sa décision, puis se
tourna vers madame de Montjouvent :
— Montez-vous à cheval, madame ?
— C’est un de mes plaisirs.
Il lui sourit, ce qui l’étonna lui-même, puis
se tourna vers Ferrière :
— Vous commanderez ici, Ferrière.
— Moi ?
— Qui d’autre ?… Nous avons déplacé
quatre-vingts archers, je
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