Les foulards rouges
l’âge et le rang,
vous n’êtes pas sans ressemblances… Magistrat au parlement le jour, il devenait
mon conseiller le soir et, devant tant de désintéressement, il acquit bien vite
mon estime puis mon amitié. C’est ainsi qu’il me raconta l’histoire de cette
petite Mathilde recueillie rue Neuve-Saint-Merry.
Comme le cardinal se taisait, Nissac demanda :
— Ce magistrat a-t-il adopté la fillette ?
Mazarin sourit.
— Il fut plus intelligent encore. Malgré
mes offres, Santheuil refusait toute aide. Mais il estimait que la fille
adoptive d’un magistrat vivant humblement n’inspirerait point un beau parti, d’autant
que l’adoption, n’est-ce pas, cela jette toujours un doute désagréable sur l’origine.
Or, il l’épousa ! Ce mariage ne fut point dans la réalité d’une union de
chair, bien entendu, mais Santheuil pensait qu’une jeune veuve inspire le
respect tout en rassurant. Idées d’un autre temps… La petite dut céder, car il
lui était difficile de refuser à son bienfaiteur ce nouvel avantage. Au fond, leur
vie ne changea guère jusqu’à ce soir d’août de cette année où quatre hommes, avertis
de l’amitié que je lui portais, égorgèrent le conseiller devant la porte de sa
maison.
Nissac, touché par ce récit, questionna :
— Et la petite ?
Le Premier ministre lui envoya amicale
bourrade à l’épaule et répondit :
— « La petite »… a vingt-huit
ans, et c’est la plus belle femme de Paris. Du conseiller de Santheuil, elle a
la droiture, l’intelligence et la loyauté. C’est à cela que je voulais en venir.
La maison de la rue Neuve-Saint-Merry, seulement connue de vous et moi, est la
plus sûre de la ville. En outre, elle vous est ouverte, Mathilde de Santheuil
sait qui vous êtes et saura vous recueillir, ainsi que les vôtres, si des jours
sombres approchaient en notre horizon déjà obscurci par toutes les mesquineries
qui nous entourent.
— Très bien, j’éviterai de l’aller voir, sauf
danger pressant.
Mazarin, soudain grave, posa une main légère sur
l’avant-bras du comte.
— Nissac, traitez-la avec de grands
égards. Ce n’est certes pas une coquette, même si elle est toujours
admirablement mise, mais j’entends qu’elle n’a point un caractère frivole. Seulement…
Voyez-vous, de Santheuil l’a élevée en lui destinant son nom. « De »
Santheuil… Ah, c’est la seule petitesse du cher grand homme ! Je ne sais
qui, de son père ou de son grand-père, ajouta ce « de » dont il
faisait grand cas et qui pèse si peu face à un gentilhomme tel que vous dont
les lointains ancêtres combattirent l’épée à la main aux côtés de Saint-Louis. Ne
le lui faites point trop sentir, je vous le demande comme un agrément personnel.
Nissac se raidit, sa voix devint un peu plus
sèche :
— Ce ne sont point là mes façons, monsieur
le cardinal.
Mazarin le regarda avec une certaine surprise
puis ses yeux rusés scrutèrent attentivement son interlocuteur.
— Mais oui, j’allais oublier !… Cette
phrase étrange, le jour où vous m’avez sauvé la vie. Attendez que je m’en
souvienne… Ah, la voici : « Mon comportement, loin d’être en quoi
que ce soit remarquable, relève du plus grand naturel chez un gentilhomme… ou
chez n’importe quel homme. »
Embarrassé, Nissac garda le silence. Le
cardinal profita de son avantage :
— J’ignore quelles idées de grande étrangeté
traversent votre esprit, Nissac… l’égalité, mon Dieu !… Mais, quelles que
soient ces idées, venant de vous, elles ne peuvent être vraiment mauvaises, peut-être
simplement prématurées !… Cependant revenons à nos affaires : où en
êtes-vous ?
Brièvement, Nissac l’entretint de Le Clair de
Lafitte, Frontignac, Maximilien Fervac. Il lui rappela également l’existence de
son allié secret et le cardinal, une fois encore, eut le tact de ne pas en
demander davantage. Enfin, il lui parla des prisonniers destinés aux galères et
Mazarin, non sans cynisme, lui confia qu’un certain nombre d’innocents
pourrissaient en prison, ainsi que des coupables aux talents de tout premier
ordre.
Puis il se leva et prit affectueusement Nissac
aux épaules.
— Si vous gênez les Frondeurs, et
démasquez cet Écorcheur, je serai immensément satisfait. Mais de plus, si vous…
« Trouvez » des richesses… Par hasard, n’est-ce pas…
Il baissa la tête, comme accablé :
— Les impôts ne vont plus
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