Les foulards rouges
et les poissons qui le peuplent en me disant : « Tiens,
voilà le premier Nissac qui n’est point marin. » Souffrez-vous donc du
roulement de la mer ? Refusez-vous de servir de nourriture aux crabes
comme vos glorieux ancêtres ?… En un mot, seriez-vous un lâche, Nissac ?
Les compagnons du duc partirent aussitôt à
rire, forçant un peu la mesure.
Nissac, cependant, ne quittait pas Beaufort du
regard et le duc, confronté à ces yeux sombres, froids et inexpressifs en
ressentit un passager malaise.
Nissac répliqua enfin :
— Ce genre de question ne souffre pas de
réponse mais une démonstration.
— J’en suis tout aise et désolé pour vous
qui allez mourir !
— Je sais, je sais : des tas de
cadavres m’ont dit cela bien avant vous. Êtes-vous prêt, ou allons-nous
bavarder ainsi longtemps encore ?
Presque aussitôt les deux adversaires furent
en garde tandis que des exclamations montaient des fenêtres du palais et des
jardins. D’un regard, le duc de Beaufort constata qu’un public nombreux, où
dominait l’élément féminin, allait assister au duel et en fut tout réjoui, savourant
à l’avance un triomphe dont il ne doutait pas un instant et pour cause : il
demeurait invaincu dans les duels à l’épée.
Cependant, les choses ne se passèrent point
comme en son imagination puisque, dès le premier assaut, son épée lui fut
arrachée de la main.
Nissac inspecta l’extrémité de sa lame et, sans
même lever les yeux :
— Vous avez perdu quelque chose, duc !
Beaufort ramassa son épée en rageant, jugeant
qu’il avait sous-estimé son adversaire.
À l’assaut suivant, le duc fut touché deux
fois au visage, balafres légères qui formaient une croix.
Nissac inspecta de nouveau l’extrémité de son
épée et ne leva pas les yeux.
— On vous dit libertin, voilà de quoi
vous ramener en le sein de notre sainte mère l’Église.
Le duc se demanda s’il ne rêvait point. Mais
un élément de réflexion appelant urgente réponse lui faisait défaut : Nissac,
cette redoutable machine à combattre dont les dieux de la guerre devaient
soutenir le poignet, n’avait point appuyé ses coups.
Dès lors, que comprendre ?
Le duc de Beaufort, tout en reprenant sa garde,
se trouvait mentalement aux abois : pourquoi ces caresses légères qui lui
valaient un premier sang peu fourni quand Nissac, qui n’était que force, eût pu
le balafrer gravement ? Pourquoi ce comte le ménageait-il alors que lui, Beaufort,
n’avait pour projet depuis le premier instant que d’occire l’homme au regard
glacé ?
On ne peut tenir une épée – surtout face à un
Nissac ! – et dans le même temps torturer un cerveau fragile avec des
questions dont les réponses semblent insaisissables : dominé à l’épée, le
duc l’était également en son esprit.
Beaufort se battait mal, de plus en plus mal, se
trouvant éraflé à la cuisse, au bras et à l’épaule sans avoir jamais approché
Nissac. Sur les balcons et en les jardins, les cœurs volages des jolies
Frondeuses avaient déjà changé de camp.
Alors vint l’hallali.
Se pliant avec souplesse, Nissac cingla – toujours
sans appuyer le coup – les tibias du duc qui chancela et s’effondra de tout son
long face contre terre. Rapide, Nissac tira un long poignard d’une de ses
hautes bottes et fendit la ceinture du haut-de-chausses du duc. Puis, d’un
geste énergique, il tira sur le vêtement déchiré et deux fesses poilues
apparurent sous la froide lumière de décembre.
Alors, d’un geste léger, Nissac zébra le
derrière du duc en lançant d’une voix égale :
— Lorsque vous poserez ce cul sur une
chaise, duc, pensez aux Nissac et qu’il n’est point recommandé de leur faire
injure.
Puis, félin, il se retourna et battit l’air de
son épée à deux reprises, en un geste d’invite aux compagnons du duc.
Les gentilshommes se mirent en garde… et ce
fut à peu près tout.
Ce fut tout car l’épée du premier se trouva
projetée dans un massif quand celle du second acheva sa course dans le bassin
et tout cela, en quelques secondes.
— Une fessée, messieurs ? demanda
Nissac.
Un instant stupéfaits, les gentilshommes s’enfuirent
coudes au corps.
Alors, en un geste de grande élégance
toutefois un peu canaille et qu’on eût plus volontiers prêté aux ménestrels
charmeurs des temps jadis, le comte de Nissac ôta son feutre marine au bord
rabattu qu’ornaient de splendides plumes
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