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Les foulards rouges

Les foulards rouges

Titel: Les foulards rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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épousée pour en faire assez rapidement, considérant leur
différence d’âges, une respectable veuve.
    Mais ce lit ?
    On ne dort pas seul dans un lit si large, à
qui ferait-on croire pareille chose ?
    Le conseiller privé de Santheuil avait abusé
son maître Mazarin, et voilà un tour à sa façon. D’ailleurs, pourrait-on blâmer
le barbon ? Qu’il eût chaviré au spectacle de la beauté de Mathilde, c’était
là chose naturelle. Qu’il eût pratiqué cette forme détournée d’inceste, puisque
Mathilde n’était point de son sang mais sa fille tout de même, on pouvait le
condamner mais dans « condamner », on trouve « damné » et
la toute beauté peut rendre fou le plus sage des hommes.
    — Quel dommage, quel grand dommage !
murmura le comte, accablé.
    Curieusement, il ne parlait pas en égoïste et
ne songeait point à lui. La toute belle Mathilde lui semblait habiter une autre
planète, quelque lointaine étoile ou cette lune qu’il aimait contempler à la
veille des batailles quand les soldats dorment mal, que les feux meurent
lentement et qu’on entend de loin en loin des prières dites à mi-voix par des
hommes qui, dans la crainte du lendemain, retrouvent les accents de l’enfance. Puis,
au point du jour, ces premiers bruits de l’acier, des armes qu’on prépare.
    Il ne songeait pas à lui, une fois encore, en
pensant à Mathilde mais à Mathilde elle-même. À ce gâchis. Sa beauté et sa
loyauté – à preuve, elle lui avait ouvert sa porte – méritaient que le premier
homme à l’étreindre fût aussi son premier amour.
    L’amour.
    À trente-huit ans, le comte de Nissac en
savait peu de chose.
    En vingt années de vie amoureuse, une dizaine
de maîtresses. Des aventures brèves. Bourgeoise, fille d’auberge, paysanne, drapière,
lavandière, une bourgeoise encore, une baronne, la veuve d’un paveur et une
femme de chambre… Anne, Jeanne, Louise, Françoise, Marie, Antoinette…
    Les coudes sur les genoux et le menton au
creux des mains, il sourit, très attendri, à la ronde de ces charmants visages.
Au moins n’étaient-elles point des prostituées, dont il avait horreur. On s’était
simplement plu, de part et d’autre, on s’était souri, pris la main et aimé. Presque
sans y prendre garde, elles lui avaient donné grand bonheur et ne devinèrent
sans doute jamais à quel point. Aussi s’était-il toujours montré attentif, aimable
et galant. Toutes avaient pleuré à son départ, lorsque les garnisons quittaient
la place pour une autre ou partaient en campagne.
    Et, cependant, cette adorable petite troupe
féminine lui avait porté tort, il ne l’ignorait point, auprès des autres
officiers, voire auprès des soldats. Avec le temps, le comte montait en grade
mais ne changeait rien aux manières de sa jeunesse, lorsqu’il était lieutenant.
Dans les auberges huppées, que fréquentait la petite noblesse locale, on s’offusquait
de voir un général-comte recevoir à sa table sa maîtresse, une modeste
vivandière, et la traiter avec tous les égards qu’on imagine pour femme de
grande noblesse.
    Des esprits mal intentionnés avaient même
rapporté la chose au prince de Condé. Celui-ci en avait souri. Il se montrait
au contraire ravi que ce général talentueux, possible rival, se cantonnât à des
amours qu’on pensait « subalternes » qui lui barraient le chemin de
la Cour. Mais au plus profond de lui, monsieur le prince n’en était point
étonné. Nissac ne ressemblait à personne : il ménageait la vie du plus
obscur de ses soldats, se montrait chevaleresque avec l’adversaire défait, alors
pourquoi pas avec les femmes ? Les femmes ! Le prince pensait que, princesse
ou servante, Dieu n’avait point voulu donner de raison aux femmes.
    À un courtisan qui se plaignait du
comportement du général, le prince, en une de ses colères fulgurantes, avait
répondu :
    — Duc, le comte de Nissac peut foutre
femme qu’il veut car il est le seul de tous mes généraux qui a gagné toutes les
batailles où je l’ai engagé ! En mon armée, le talent donne des droits que
les autres n’ont point ! Sortez, duc, et qu’on ne me parle plus de cela
qui m’indispose !
    Nissac ferma les yeux et les ouvrit à
plusieurs reprises.
    Sa conscience se réveillait mais à la vérité, chez
cet homme de devoir, elle ne dormait jamais que d’un œil. Quoi, il pensait à
ses gentilles amours passées quand tant de choses l’appelaient sur l’instant,

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