Les foulards rouges
quand
on comptait sur lui pour barrer la route aux factieux de tous bords ?
Il se mit debout, et grimaça aussitôt. Une
fulgurante douleur le traversa de la hanche au genou.
— Foutus lâches qui m’abattent à dix au
pistolet !… maugréa-t-il en songeant à celui qui, lui tirant dans le dos, l’avait
blessé.
Chaque pas lui coûtait. Il sentait comme la
douleur se mesurait à sa volonté, une douleur prête à le terrasser ou disposée
à capituler pour peu qu’il le voulût. Et il le voulait.
Il marcha jusqu’à la fenêtre et observa la rue.
Il calcula rapidement que Mathilde l’avait logé au troisième étage et, regardant
plus attentivement, fut tout surpris de constater que l’aubergiste des « Armes
de Saint-Merry » lui adressait signe amical et empressé.
En retour, il leva la main, assez ému à l’idée
que l’homme fût ainsi resté des heures à attendre son réveil.
Mazarin savait-il comme il était servi ? Cette
Mathilde de Santheuil qui appliquait le plan sans faillir, cet aubergiste loyal
qui repoussait une bourse : ah, le diable d’italien représentait si bien
le petit roi qu’on se dévouait pour lui au-delà du comportement attribué au
commun.
Mazarin !… Monsieur le cardinal !… Monsieur
le Premier ministre !…
Quelque chose taraudait le comte de Nissac. Lorsqu’on
a vu la mort en face, on ne se laisse point facilement égarer et Nissac savait
que Mazarin ne pouvait être trompé par être vivant quel qu’il fût.
Pas même ce magistrat du parlement, monsieur
de Santheuil.
Or donc, si Mazarin parlait de mariage arrangé,
il ne pouvait se tromper. Et pourtant ce grand lit, auquel il jeta un regard
haineux ?
Mais en quoi cela le regardait-il ? Un si
joli minois au charme ravageur, un corps si souple et si bien proportionné, certes,
mais en regard, sans doute, une bourgeoise à l’esprit étriqué, familière des
arrêts du parlement quand les seuls arrêts qu’il connût jamais furent ceux de
son instinct en orientant ses canons qu’il défendait, le cas échéant, l’épée à
la main.
Il se secoua :
— Nissac, cesse donc de rêver ! Tu
es venu sur terre pour un grand dessein que vous n’êtes que deux à connaître. Alors
ne t’égare point ! Et cesse de juger ! Sic audio, sic judico [3] !
Puis, reprenant la formule qui précède tout
bon départ, il se décida à descendre en murmurant :
— À Dieu vat !
La porte s’ouvrit à cet instant. Le cœur du
comte de Nissac chavira aussitôt, mais madame de Santheuil n’en sut rien.
Pareillement, le cœur de madame de Santheuil
battit plus vite et plus fort, mais le comte de Nissac ne le devina point.
Ils s’observèrent un instant puis Mathilde de
Santheuil lança d’une voix plus froide qu’elle n’eût souhaité :
— Nous allons dîner, monsieur le comte.
— Je n’ai point d’appétit, madame.
— Il le faut pourtant, monsieur le
général.
— On ne saurait forcer la nature, madame
de Santheuil.
— Eh bien cette fois, si !… On
compte sur vous au Palais-Royal, vous ne vous appartenez plus.
— À votre convenance, puisque vous dites
les choses ainsi qu’il m’est impossible de les refuser.
11
Nissac éprouva quelque peine à descendre les étages
par l’escalier à vis et, à trois reprises, comme il trébuchait, il sentit sur
son épaule la main de Mathilde prête à le soutenir.
Mais à la vérité force est d’admettre que ce
doux contact, loin de lui donner quelque assurance, le troubla si fort qu’il s’en
fallut de peu que le comte de Nissac ne plongeât tête la première dans l’étroit
escalier.
Comme il se demandait par quel moyen une jeune
femme avait pu le monter si haut – pas sur ses épaules, tout de même ? –, Mathilde
de Santheuil devança la question :
— Joseph, l’aubergiste des « Armes
de Saint-Merry », aidé de son valet, vous a monté là-haut, monseigneur.
— C’est un brave homme ! répondit
Nissac en tentant de ne point trébucher.
Derrière lui, la voix de la jeune femme se
teinta d’une très légère nuance moqueuse :
— Et comment pourriez-vous dire autrement,
monseigneur, d’un homme qui admire à ce point le général de Nissac ?
Le ton de Nissac devint brusquement morne et
terne, ce qui alarma très fort Mathilde :
— Il n’y a rien à admirer chez un homme
tel que moi… Et ce n’est point là un sentiment qu’il me plaît d’inspirer chez
les autres. Au reste, je n’en veux
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