Les foulards rouges
cuivre rouge, chaudron, bouilloire,
poêlon, hachoir, écumoire…
Sur quelques planches voisines en chêne
vernissé, il découvrit la vaisselle, un mortier à piler le sel, des terrines et
des cruches ventrues.
Tirant le regard, une grande fontaine de
cuivre rouge en laquelle se reflétaient bien joliment les flammes de la
cheminée mettait une note joyeuse en la maison. Le comte s’approcha, observa le
robinet de potin, prit du recul et ne cacha pas son admiration.
— C’est là grand luxe ! dit-il en se
retournant vers elle.
Mathilde de Santheuil baissa les yeux.
— Monseigneur, nous avons ceci en commun
que nous nous lavons tout le corps chaque jour. Grande propreté décourage les
humeurs.
Le comte sourit.
— C’est également mon avis, mais nous sommes
hélas peu nombreux à penser ainsi. Comment savez-vous mon goût de la propreté ?
— Joseph dont le frère est canonnier en
votre troupe. C’est grand étonnement, chez vos soldats, de vous voir chaque
matin, nu, même lors des rudes hivers où il gèle, vous faire jeter sur le corps
plusieurs seaux d’eau glacée.
— L’eau froide met l’esprit en sa bonne
place.
— L’eau peut être chauffée, monseigneur.
Il la regarda, un peu surpris, et, au bout d’un
instant :
— Pour les femmes, sans doute. Leur peau
est douce, satinée et plus sensible.
Elle baissa les yeux. Il y prit grand plaisir
car, une fois encore, elle rougissait. Au reste, le comte n’avait parlé ainsi
que dans cet espoir et avec esprit de malice.
Cependant, il ne voulut point la voir plus
longtemps dans la gêne :
— C’est bien belle maison que vous avez
là. Quatre étages !
— Bien petits, monseigneur.
— Mais joliment arrangés à votre façon
qui donne grande aise à y vivre.
Troublée, elle suggéra :
— Le dîner est prêt…
Deux candélabres de
cuivre à plusieurs branches dispensaient en la pièce une agréable lumière, renforcée
par les lueurs de la cheminée qui se reflétait également dans le balancier de
cuivre d’une horloge.
Mathilde de Santheuil et le comte de Nissac se
trouvaient chacun à une extrémité d’une belle table de noyer aux quatre pieds
tournés en balustrades et reliés par une entretoise droite.
Ils étaient assis sur des chaises à dossier
haut en tapisserie bleu pâle.
Ne sachant trop s’il devait exprimer sa
reconnaissance, Nissac sentait bien que Mathilde de Santheuil s’était donné
beaucoup de peine pour le recevoir du mieux qu’il lui était possible. Ainsi, dans
les candélabres, point de ces chandelles faites de suif de bœuf ou de mouton, puantes
et fumeuses, mais des bougies dont il admira la belle cire très pure digne des
cathédrales.
Le comte sentait les odeurs de plats qui
attendaient mais là encore, il ne savait point si s’enquérir des détails du
repas relevait de la politesse ou de la goujaterie. L’armée lui avait fait
oublier les bonnes manières et le cardinal, mangeant sans délicatesse, n’était
point bon exemple.
Enfin, la table longue d’une toise [4] ne facilitait guère la conversation.
Mathilde dut sentir la gêne du comte car elle
se leva et revint avec une cruche de vin que Nissac s’empressa de goûter.
— Il est assurément fort bon.
— Un vin de Bourgogne, monseigneur.
— En prendrez-vous ?
— Je bois très rarement du vin.
— Mais vous recevez rarement un général
blessé. Du moins, je l’espère ?
— Vous êtes le premier général que je
vois de si près. Et c’est fort instructif.
— C’est précisément ce que j’ai pensé la
première fois que je vis de tout près un hérisson.
Mathilde sourit.
— J’aime les hérissons. C’est petit
animal qui dresse ses piques pour compenser son manque de force.
Le comte médita ces paroles. Femme aimant
hérisson est sur la défensive et n’aime sans doute point les hommes. Et celle
qui n’aime point les hommes n’aime pas l’amour. Une ombre de tristesse passa en
son regard et Mathilde, anxieuse, se leva.
— Votre appétit est-il revenu, monseigneur ?
— Je crois bien que oui.
12
Assiettes de porcelaine et plats godronés, Mathilde
de Santheuil s’était vraiment mise en peine.
Pendant le potage à la citrouille et aux
courges, ils ne prononcèrent pas un mot et un silence pénible s’instaura sans
qu’on y vît possible remède.
Enfin, n’y tenant plus, le comte se leva.
— Madame, me permettrez-vous une folie
avec cette indulgence que le sens
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