Les foulards rouges
cardinal, nous avons
exécuté vos ordres : de l’or, sans s’arrêter aux moyens. Il vous fut
peut-être rapporté que notre procédé fut brutal mais point n’était possible d’agir
de différente manière.
Mazarin entendait les paroles du comte. Il les
comprenait parfaitement. Mais, par un phénomène qu’il n’aurait su expliquer, il
se trouvait comme brusquement paralysé.
Il s’ébroua enfin :
— Ah, comte !
Puis il s’approcha et plongea ses mains dans
le trésor. Perles fines et monnaies d’or, diamants bruts et bijoux ruisselaient
entre ses mains tremblantes qu’il replongeait cependant tout aussitôt dans le
fabuleux butin.
Enfin, il se tourna vers Nissac qu’il regarda
avec affection :
— Ah, comte !… Le royaume vous doit
haute reconnaissance ! Voilà de quoi payer l’armée et lever nouvelles
troupes. Voilà de quoi écraser les Frondeurs et les factieux qui relèvent la
tête aux quatre coins du pays.
Il posa ses mains sur les fortes épaules du
comte.
— Je sais tout, Nissac ! L’hôtel
Volterra, le pont Barbier, toute votre stupéfiante équipée, le soin apporté à l’affaire
et jusqu’à cette étonnante idée des foulards rouges. La Cour ne parle que de
cette affaire où l’on vous croit cent quand vous n’étiez que sept et pourtant, tout
le monde, même à cent, de louer le courage et l’audace de ces cavaliers
inconnus qui se reconnaissent à un foulard rouge et se retrouvent en leur
fidélité à la couronne.
Ne sachant trop que dire, Nissac ébaucha un
geste vague :
— Monsieur le cardinal, la réussite ne
dépendait que de la bonne préparation de cette affaire qui fut menée comme
celles que nous réalisons dans les lignes espagnoles. Les Frondeurs sont
nombreux, mais bien peu d’entre eux connaissent l’art et les secrets de la
guerre. Enfin, la chance fut nôtre lorsque la rivière emporta le pont à l’instant
le plus dangereux.
Le Premier ministre ôta ses mains des épaules
de Nissac et regarda de nouveau le trésor. Une larme coula sur sa joue et, malgré
les paroles qui suivirent, le comte s’interrogea longtemps sur l’origine de
cette émotion : reconnaissance ou joie profonde à l’idée d’utiliser ce
trésor pour écraser la Fronde ?
Mazarin, remarquable comédien, imprima un
délicat tremblé à sa voix qu’il cassa adroitement à deux reprises :
— Comte de Nissac, ne soyez pas modeste
car vous ajoutez à ma confusion qui vient de ma reconnaissance, ôôôh non !
Curieux, Nissac enregistra ce trémolo assez
inattendu mais ne put s’y attarder plus avant, le cardinal reprenant :
— Oh non, ne me mettez point dans la gêne
par cette modestie qui couronne une action de grand éclat. Trop, beaucoup trop
autour de moi se parent de lauriers qu’ils usurpent si bien qu’il m’est
insupportable de voir un véritable héros rapetisser ses grands mérites.
Puis, observant brusquement le comte comme s’il
le découvrait :
— Mais, je manque à tous mes devoirs !
Cette escapade sur la rivière de Seine dans la nuit glacée, vous devez mourir
de faim !…
— Monsieur le cardinal, mes hommes, eux
aussi…
— Je vais donner des ordres ! coupa
Mazarin.
Nissac et le
cardinal firent honneur à un potage au poulet farci à la laitue, des perdrix, des
bécasses, une poularde, un fromage de Pont-L’Évêque, après quoi vinrent
échaudés, macarons, massepains et confiture d’orange arrosés de vin de
Bourgogne pour cette légère collation vespérale.
Les deux hommes, pour autant, ne cessèrent de
s’entretenir d’affaires de service. Ainsi Nissac fit-il le point sur l’enquête
concernant l’insaisissable « Écorcheur » et sur l’aide efficace de
Jérôme de Galand, lieutenant de police criminelle tout dévoué à la couronne.
Il revint sur la nécessité de prendre en
grande urgence Charenton, les généraux de la Fronde ayant décidé que cette
place devait être à tout prix défendue.
Enfin, le cardinal insista pour conserver
quelques jours Nissac et les siens à la Cour, le temps que les factieux
oublient un peu ses « chers Foulards Rouges ».
Nissac, qui pensait à Mathilde, protesta qu’il
pouvait sans attendre reprendre le combat, car les forces ennemies se
trouvaient à peine entamées, mais le Premier ministre fut intraitable :
— Mon cher comte, je ne vous ai point
ménagé jusqu’ici et, malheureusement, je crains de devoir vous demander votre
aide longtemps encore. Prenez
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