Les foulards rouges
morts d’aujourd’hui. Et le
peuple. Le peuple n’y gagnera rien et pansera ses plaies en silence. Le peuple
a d’ores et déjà perdu.
Le colonel des chevau-légers médita les
paroles du comte d’un air sombre puis, se reprenant ;
— Au moins pourrons-nous consacrer notre
temps à chercher où se cache « l’Écorcheur ».
Le comte demeura longuement songeur, enfin, regardant
son ami droit dans les yeux :
— Nous ne le trouverons point. L’Écorcheur
va se calmer et se cacher en sa tanière. Il en est de lui comme des famines et
des épidémies, il ne se manifeste qu’en temps de guerre.
— Et si la guerre reprend un jour
prochain ?
Le comte haussa les épaules.
— Voyons, Melchior, elle reprendra. Ils
ont goûté au pouvoir, ils en voudront encore. Elle reprendra dans six mois, dans
un an… Pour s’achever définitivement, il faudra qu’un des deux partis écrase l’autre.
Et ce n’est pas pour tout de suite !
Sur ces paroles, le comte poussa son cheval.
32
L’homme, appelé Theulé, eut la très curieuse
impression de s’envoler.
Impression d’autant plus surprenante que
jamais comme aujourd’hui il ne s’était senti si bien ancré dans une heureuse
réalité.
Un véritable rêve qui brusquement tournait au
cauchemar.
Il fallut plusieurs secondes à Theulé pour
comprendre qu’il avait été littéralement arraché au vol par un cavalier lancé à
vive allure et qui, d’une main, le tenait par le col à un bon pied du pavé. Ce
que cela supposait de force prodigieuse impressionna Theulé dont l’esprit, bientôt,
céda à la panique.
Il eut vaguement le sentiment que, sans
presque ralentir l’allure, le cavalier faisait demi-tour pour reprendre la rue
Neuve-Saint-Merry dans l’autre sens. Mais il n’aurait osé le jurer, et n’en
avait point le loisir car pour Theulé, très secoué, le paysage tanguait, les
maisons apparaissaient inclinées et toutes choses sens dessus dessous.
À proximité d’une taverne appelée « Aux
Armes de Saint-Merry », le cavalier ralentit son haut cheval noir et jeta
brutalement son fardeau humain qui s’en alla douloureusement rouler aux pieds
de deux hommes qui, sans douceur, le saisirent aux épaules.
Le poussant, on lui fit ouvrir la porte avec
son visage, ce qui eut pour effet de lui briser le nez et plusieurs dents. Ensuite
de quoi, à force de gifles retentissantes, il traversa la salle puis, d’un coup
de pied au bas-ventre, on l’invita sans plus de façons à dégringoler l’escalier
de la cave.
Theulé, dont le corps n’était plus que
douleurs, regarda autour de lui.
Deux flambeaux éclairaient une cave voûtée de
facture très ancienne avec des murs constitués de petites pierres éclatées à la
masse et noyées dans le mortier. On voyait de grands fûts de chêne, quelques
cruches cassées et un escabeau sur lequel reposait un gobelet d’étain bosselé.
L’endroit sentait le vin et la moisissure.
Deux hommes, Joseph et son commis, descendirent
l’escalier et, sans un mot, regardèrent Theulé avec attention. Peu ensuite, un
troisième les rejoignit que Theulé imagina être le cavalier qui l’avait enlevé,
en quoi il ne se trompait pas, s’étonnant cependant de la grande beauté des
plumes blanches et rouges de son chapeau.
— C’est bien lui ? demanda le comte
de Nissac.
— Tout à fait, monsieur le comte ! répondit
Joseph.
Discrètement, le commis proposa d’aller
surveiller la rue, en quoi on l’approuva.
Nissac s’approcha lentement de Theulé qui
frémit sous la froideur du regard.
— Tu vas parler, dire tout ce que tu sais,
sinon, devant qu’il soit une heure écoulée, nous aurons brisé tous tes membres
un à un.
Theulé, que ses dents cassées faisaient
zézayer, s’empressa :
— Mais je ne demande que ça… monsieur le
comte.
— Qui te paye ?
— Je ne connais point son nom et ne sais
où le chercher quand il n’ignore jamais où me trouver. À ses manières, je pense
que c’est un seigneur mais qu’il a du goût pour la compagnie des ruffians.
— Dans ton genre ? questionna le
comte.
Theulé retrouvait peu à peu ses moyens. Tant
qu’on l’invitait à parler, il conservait quelque espoir de sortir vivant de
cette cave. Il devint plus que bavard, volubile et calculateur :
— Mais point du tout, mon beau seigneur. Je
n’ai rien à voir avec la canaille, étant artiste. Ainsi, récemment, je
travaillais à une fresque en l’hôtel de Sens
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