Les foulards rouges
où l’on se couvre de sang.
L’homme au masque d’argent retourna à la
fenêtre.
— Ah, d’Almaric, d’Almaric !… Que ne
m’avez-vous dit cela plus tôt ! Vous avez bien entendu raison et il me vient
à présent grand regret concernant cette jeune femme !
— J’en suis désolé, monseigneur.
— Et… « Elle » ?… Où en
êtes-vous, marquis, qui savez pourtant comme j’ai besoin de la foutre car pour
moi la foutre serait comme une nouvelle naissance qui me viendrait.
— Monseigneur, un de nos hommes l’a
repérée, perdue, retrouvée, perdue de nouveau, mais il est tenace et j’ai toute
confiance en ses qualités de chasseur. C’est une affaire de jours, peut-être d’heures.
L’Écorcheur soupira :
— La tenir enfin… serrer son adorable
petit museau contre ma poitrine !…
34
Malgré le siège, les Parisiens n’oublièrent
pas le Mardi-Gras, vieil héritage du « Carême-Prenant » où, pendant
les trois jours qui précèdent les débuts du Carême, on se donne à la fête avant
la période d’abstinence qui dure quarante-six jours et s’achève le dimanche de
Pâques.
Trois jours de folie, de carnaval, de déraison.
Au milieu de la foule où se voyaient masques
et costumes ridicules ou grotesques, monsieur de Bois-Brûlé ouvrait la marche, déguisé
en Neptune, un trident à la main et affublé d’une longue barbe blanche. Derrière
lui, devisant avec air de tranquillité, les barons de Frontignac et Le Clair de
Lafitte allaient à pas lents, le premier portant un masque d’âne et le second
dissimulant ses traits sous un masque de cochon très rose.
Venait encore Maximilien Fervac qui s’était
passé le visage au plâtre, Nicolas Louvet coiffé d’une couronne aux pics de
laquelle étaient plantées des souris mortes, ce qui eut grand effet comique en
la foule et Florenty, portant masque de diablotin au sourire figé.
Ils ne marchaient point groupés, laissant s’intercaler
entre eux des Parisiens déguisés.
Enfin, le comte de Nissac et Mathilde de
Santheuil allaient en couple, main dans la main. La jeune femme, habillée en
nonne, dissimulait son visage sous un masque représentant un aigle quand Nissac
portait masque plus effrayant encore, car celui-là était la mort et que cette
tête de squelette accentuait son effet en raison que le comte tenait une longue
faux sur l’épaule.
On s’écartait avec crainte devant ce couple
étrange, mais l’oubliait aussitôt tant la variété des déguisements étonnait, amusait
ou ravissait.
Nissac et les siens pénétrèrent en une église
où un faux prêtre ordonnait une messe pour un public de chiens menés en les
travées par leurs maîtres. Les animaux, par peur du fouet, écoutaient sagement
un latin approximatif. Pendant ce temps, des travestis faisaient la quête, les
fausses dames barbues et moustachues remuant excessivement leur croupes
imposantes et maugréant contre les chiens avaricieux qui ne donnaient point le « denier
à Dieu ».
Le spectacle faisait hurler de rire les
spectateurs, trop heureux, sans doute, d’oublier un instant les rigueurs du
siège imposé par l’armée de monsieur le prince de Condé.
Cependant, le comte et les siens ne s’attardèrent
point à ce plaisant spectacle. Profitant de l’allégresse et du relâchement, ils
pénétrèrent en l’Arsenal général qui borde la Seine.
Croisant un garde qui porta aussitôt la main à
l’épée, Nissac plongea la main dans sa haute botte, en sortit son poignard et
le lança d’un geste vif. L’arme se planta en la gorge de l’homme qui s’effondra.
Alors, sans manifester d’émotion, le comte se baissa, tira sur le manche du
poignard et essuya la lame au vêtement du cadavre.
Puis, il leva vers madame de Santheuil son
visage caché derrière l’effrayant masque de la mort, et lui dit :
— Voyez, madame, je suis un tueur.
Elle répondit avec fermeté :
— Vous ne changerez point l’image que j’ai
de vous, monsieur, car je sais l’intérêt supérieur qui vous pousse à agir ainsi.
Le comte ébaucha un geste de découragement et
s’avança, suivi de sa troupe où se voyaient Neptune, âne, cochon rose, visage
lunaire, roi des souris mortes, diablotin au sourire figé…
Nissac connaissait l’endroit. À main gauche, la
fonderie des canons. Puis le bâtiment des poudres et enfin les ateliers
modernisés en l’époque de Sully.
Il donna des ordres brefs. Bientôt, la poudre
fut mouillée,
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