Les Frères Sisters
qui nâen était quâà ses débuts, et Charlie qui se trouvait actuellement seul avec le camarade affaibli de Warm  â, câétait une question dâimportance. Et pourtant il avait lâair de trouver cela amusant, comme si nous papotions de choses futiles.
«  Il nâest pas facile à cerner, biaisai-je.
â Je crois que Morris haïssait votre frère avant que vous ne nous aidiez la nuit dernière. Et pourtant, ce matin ils marchaient bras dessus, bras dessous. Quâest-ce que vous en pensez  ?
â Je ne sais pas quoi dire, si ce nâest que cela ne lui ressemble pas.
â Vous doutez de la sincérité de son comportement  ?
â Ãa me surprend, câest tout.  »
Warm sâarrêta pour se gratter les tibias, et je pus voir que sa peau avait considérablement noirci, et que des cloques commençaient à se propager jusquâau genou. Il se gratta de plus belle, au point de mettre sa chair à vif  ; je crois quâil était contrarié que sa solution irrite autant la peau, ternissant ainsi la beauté de son invention. Il finit par se donner des claques sur les jambes pour apaiser ses furieuses démangeaisons, et cela parut le soulager. Rajustant le bas de son pantalon, il me demanda, «  Mais vous ne pensez quand même pas que Charlie pourrait
tuer
ce bon vieux Morris  ?
â Je ne sais pas. Jâespère que non.  » Il me prit le bras et nous poursuivîmes notre chemin. Je dis, «  Jâavoue quâil est étrange de parler ainsi avec vous.  »
Il secoua la tête. «  Mieux vaut dire les choses telles quâelles sont, nâest-ce pas  ? Et franchement, quâest-ce que ça change, pour Morris et moi  ? Certes, on préférerait que vous et votre frère ne nous tuiez pas, mais nous sommes pour ainsi dire à votre merci.
â Une sacrée équipe que vous avez là , Warm.  »
Il répondit avec gravité, «  Plutôt louche, non  ? Un dandy et deux assassins.  »
Je me mis à rire, et Warm me demanda ce que je trouvais drôle. «  Vous et vos jambes et vos mains violettes. Morris et mon frère, et les hommes entassés dans le feu. Mon cheval mort au pied dâune colline.  »
Warm apprécia mes propos, et se tourna vers moi, rayonnant  : «  Il y a du poète en vous, Eli.  » Il me demanda â et je la lui accordai  â lâautorisation de me poser une question personnelle. Et voici ce quâil désirait savoir  : «  Jâai posé cette même question à Morris il y a quelque temps, et maintenant je me la pose à nouveau, vous concernant  : comment en êtes-vous arrivé à travailler pour un homme tel que le Commodore  ?  »
Je répondis, «  Câest une longue histoire. Mais, en deux mots, mon frère a appris la violence dès son plus jeune âge, grâce à notre père, qui était un homme mauvais. Cela a posé beaucoup de problèmes à Charlie  : par exemple, chaque fois quâil se sentait offensé, il était incapable de se contenter de régler ses comptes avec ses poings ou à coups de couteau  ; il fallait quâil donne à lâépisode une conclusion mortelle. Or, quand vous tuez un homme, son ami, son frère ou son père rapplique très vite, et tout est à recommencer. De sorte que Charlie sâest souvent retrouvé en infériorité numérique, et que jâai dû lui prêter main-forte. Jâétais jeune, mais jâavais déjà le sang chaud, et lâidée que quelquâun puisse sâen prendre à mon frère aîné, qui jusquâalors mâavait toujours protégé, suffisait à me mettre hors de moi. Plus sa réputation grandissait, plus le nombre de ses adversaires augmentait, et plus il avait besoin dâaide. Très vite, il est devenu clair que si vous aviez un problème avec lâun dâentre nous, vous auriez à affronter les deux. Il sâavère, je ne saurais dire pourquoi et il mâest arrivé plus dâune fois de le regretter, mais bon, il sâavère que nous avions ou avons une aptitude pour tuer. Câest ainsi que le Commodore nous a approchés, en nous proposant de travailler dans son
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